La turbulence des fluides
Nouvelle-Zélande
Du 29/11/2017 au 26/05/2018, 6 mois d’escale et de navigation
1’725 Mn dont 98 Mn au moteur
10 îles, 31 mouillages
94,3% à la voile
vitesse moyenne : 4,2 Nds
Les horaires sont en heure locale formatés sur 24 heures
La Nouvelle-Zélande est principalement constituée de deux îles. L’île du Nord et l’île du Sud. Une troisième, plus menue, l’île Stewart, est située immédiatement au Sud de l’île du Sud. De la ville d’Opua dans Bay of Islands à l’île Stewart, c’est-à-dire des latitudes 35 à 47 Sud, plus de 1’000 milles de côte sauvage s’étirent, une distance considérable, comparable à notre traversée depuis les îles Fidji !
Comment aborder un pays aussi grand ?
Nous passons le premier mois confortablement installé à Kerikeri Basin, un lieu paisible et inspirant de Bay of Islands, situé au bout de la partie navigable de la rivière du même nom. Trois milles de chenal praticables à partir de la mi-marée montante permettent d’y accéder. Nous sommes quelques-uns ici à être amarrés entre deux plots de bois ou de métal plantés dans la vase. L’unique péril à redouter serait une crue prononcée comme celle des années 80 qui balaya tout sur son passage.
Nous expérimentons ici notre premier « deep low » (dépression creuse) à 57 nœuds sans en subir le moindre des effets. Pour le pays, les dommages sont conséquents : des arbres tombés (1 mort), des vols annulés, des foyers privés d’électricité, des routes inondées par la mer (grandes marées), des portions de route détruites par la houle…
Lovés au fond de notre méandre, au milieu des canards et des oiseaux, oubliant la mer, nous travaillons assidûment à la mise à jour du site internet. Ceci fait, nous relevons les amarres avec l’ambition de circumnaviguer les trois îles New-Zélandaises, un trip de 2’000 milles ! En quittant les tropiques nous étions heureux de retrouver les saisons mais cela signifie aussi qu’il faut composer avec : nous sommes le 19 janvier et la moitié de l’été austral est déjà passé !
J1 à J4
Au louvoyage dans un vent anémique, l’extraction de Bay of Islands est laborieuse. Les trois premiers jours du cap Brett au East Cape nous avançons relativement bien malgré un vent lunatique en force. D’abord au près puis au grand largue avec la grand-voile et le génois en ciseaux, enfin la trinquette est hissée sous le vent pour compléter la panoplie.
La fin de J1 nous voit passer au large du Hauraki Gulf et d’Auckland. Durant J3, le contournement du délicat East Cape se déroule au mieux avec le courant et le vent dans le sens de la marche. Le 4e jour la côte nous dévente de plus en plus, le vent mollit et s’oriente progressivement vers l’arrière. Seul bateau rencontré dans les parages, le voilier Starlit nous rattrape. En longeant la côte six milles sur notre tribord il profite des effets de brise, une option plus rentable semble-t-il. Le jour déclinant, il choisit de mouiller dans la baie de Tolaga.
Le vent météo s’est tu et la brise va bientôt suivre le même chemin, nous décidons de l’imiter. Nous tentons d’exploiter sous spi les derniers transports de particules rares mais il faudra l’aide du moteur pour boucler les deux derniers milles avant la nuit. J1 : 106 Mn, J2 : 97 Mn, J3 : 107 Mn, J4 : 7 heures de navigation, 17 Mn. Vitesse moyenne : 4,1 Nds.
Ces 330 milles derrière nous, nous sommes à mi-chemin de Wellington, la capitale, implantée à l’extrémité Sud de l’île du Nord, une ville-tremplin pour traverser le Détroit de Cook et aborder l’île du Sud. Nous ne le savons pas encore mais nous venons de consommer notre pain blanc. Durant les prochains jours, notre progression perdra souvent sa fluidité et son élégance si chères à nos yeux. Subissant le courroux d’une météo capricieuse dont le principal protagoniste est absent, elle va devenir fastidieuse, chaotique, folklorique, anecdotique : nous inventerons des configurations de voile nouvelles et improbables, nous endurerons le martyre des lattes de la grand-voile brisant le silence des fluides, l’usure des bouts soumis à des fluctuations d’effort incessants n’aura d’égal que celle de nos nerfs tendus vers l’action sans résultat.
J5 – 23 janvier
Nous levons le camp au petit jour pour 32 milles et onze heures de navigation au plein vent arrière. Pour être sûr de bien ratisser toutes les bouffées de brise sur notre route, nous déroulons le gennaker à tribord, la bôme lui faisant office de tangon, et le génois à bâbord, tangonné grâce à notre espar en carbone. La grand-voile reste basse pour ne pas masquer ce grand papillon qui emmènera l’Envol à la vitesse moyenne de trois nœuds jusqu’à la ville de Gisborne.
Starlit nous devance dans ce port exigu. Nous partageons avec Dave, son capitaine, une tasse de thé à bord de L’Envol. Il nous raconte son incroyable périple de vie, la construction de son bateau puis son tour du monde en solo, comment il a du retourner à la tempête pour échapper à des pirates armés à Haïti, comment il est resté perché sur un récif à Fakarava en Polynésie française, comment il en a été secouru, combien cela a coûté… Il a l’habitude de prendre des équipiers payants à son bord mais ça ne se passe pas toujours bien. Son équipier d’origine chinoise, coupable d’un bris de spi, débarque un peu déboussolé.
Alors que Gisborne, 40’000 habitants, constitue un des rares abris de cette partie de la côte Est, sa marina affiche ouvertement une politique anti-voilier de passage, par son prix prohibitif, par la durée du séjour limitée à une seule et unique nuit et par l’absence de service (douche, wifi) pour le prix ! D’ailleurs, il y a très peu de voilier ici, essentiellement des bateaux dédiés à la pêche sportive et bien sûr personne ne vit à bord. Surprise, notre voisin de ponton, un petit thonier, nous propose de prendre la place vacante de son père dans le port de pêche qui jouxte la marina. Nous quittons notre confortable cateway flottant pour un amarrage folklorique entre un quai en ciment et deux plots de bois comme à Kerikeri Basin. A marée basse, je rentre précipitamment de nos courses en ville, juste à temps pour détendre les amarres qui commençaient à faire dangereusement léviter nos trois tonnes !
Nous passerons deux nuits à Gisborne, le temps de laisser filer un jour de pétole. Le cyclone Fehi, premier de la saison, est en route depuis les tropiques pour venir mourir ici en Nouvelle-Zélande. Il nous reste encore quelques jours avant la collision pour tenter de rallier Napier ou Wellington qui sont – du East Cape au Détroit de Cook – les deux autres abris potentiels.
J7 – 25 janvier
Nous n’avons pas de réel créneau météo avec du vent établi, la Nouvelle-Zélande est actuellement cernée par plusieurs cellules anticycloniques à la trajectoire difficilement prévisible : un épicentre croise-t-il notre route et nous serons assujettis à de la pétole, se déplace-t-il à notre Est et nous aurons des vents portants faibles, à notre Ouest du vent debout, entre deux cellules, nous trouverons des vents variables ou nuls. De conserve avec Starlit, nous décidons de tenter de nous frayer un passage au milieu de ce magma de hautes pressions.
Rapidement notre option se révèle difficile à assumer. Emmenés par des vents erratiques sur notre arrière nous sommes le jouet des vagues insouciantes, le matériel souffre et du fait de notre relation symbiotique, l’équipage aussi. Les manœuvres restent sans suite. Destinées à se gorger des vents de la liberté, les voiles émérites, déchues, revêtent l’allure de chiffons en berne, sans couleur, sans nation. Privé d’appui, le voilier est en régression, quelle tristesse de le sentir sans sillage, radeau à la dérive. Pour un moment, interminable, nous ne progresserons que de deux milles en près de trois heures !
Quand la nuit approche, nous sommes encore dans un parcours côtier, plutôt que de nous lancer dans la traversée de la grande baie qui mène à Napier, nous préférons faire une heure de moteur pour rejoindre l’embouchure de la rivière Whangawehi au Nord de la péninsule de Mahia. C’est un mouillage exposé ouvert aux houles de Nord et d’Est, nous mouillons entre deux récifs brisants, harassés par 32 milles arrachés au temps, treize heures d’obstination à la vitesse moyenne de deux nœuds et demi. Quant’à Starlit, plus rapide, nous l’avons perdu de vue mais nous savons par nos vacations radio qu’il a choisi de mouiller à Portland Island au Sud de la péninsule de Mahia. Nous apprendrons bien plus tard qu’il a ensuite fait escale à Napier. Arrivés à 20:00, le repos est de courte durée car le vent fait son apparition à 2:00 du matin et à 2:40 nous sommes de nouveau en route.
J8 – 26 janvier
Après un départ rapide où les quatre premiers milles sont avalés à cinq nœuds de moyenne, il nous faudra trois heures pour franchir les quatre milles suivants soumis au dévent de la péninsule de Mahia ! Enfin, un souffle s’établit à contre-sens, nous sommes heureux et soulagés de pouvoir louvoyer dans 10-12 nœuds réels de SW pendant 32 heures et ce faisant, entrer au près dans les mythiques quarantièmes de latitude Sud. J8 : 106 Mn mais seulement 70 Mn sur la route directe soit moins de trois nœuds de vitesse moyenne sur axe.
J9 – 27 janvier
Dans l’attente d’une bascule de vent à l’Est qui ne viendra jamais, je fais l’erreur de prolonger le dernier bord loin au large. En fin de matinée le vent tombe complètement. Nous sommes à 35 milles de la côte et la brise ne peut malheureusement plus rien pour nous. Nous pourrions affaler et attendre, la mer aplatie est des plus confortable, mais Fehi nous commande d’avancer car après cet épisode où le vent fait défaut nous en aurons en excès ! A contrecœur, le moteur est mis à contribution pendant deux périodes de sept heures entrecoupées d’une période identique à la voile. Durant celle-ci nous parvenons à couvrir, au louvoyage, dans cinq nœuds de vent à peine, douze milles sur notre cap, soit moins de deux nœuds de vitesse moyenne sur axe. 52 milles sont parcourus au moteur. Sur cette mer d’huile et en restant en deçà de 3,8 nœuds, le rendement du Tohatsu 9.8 (deux temps) est excellent et la consommation bien moindre que prévue, environ 1,3 litre par heure. Avec nos 70 litres d’essence embarqués, cela nous fait – à condition de ne pas être pressé – une autonomie de plus de 200 milles, pas si mal ! J9 : 87 Mn dont 65 Mn sur la route directe soit toujours moins de trois nœuds sur axe !
J10 – 28 janvier
Le spi asymétrique tangonné sur la bôme
Fin de cet épisode de moteur au petit matin, nous ne sommes plus qu’à dix milles de la côte. Une brise faible s’établit. Nous passons la majorité de la journée avec le spi asymétrique déroulé à tribord tangonné sur la bôme afin d’essayer d’en faire une voile apte à descendre le vent. Le génois déroulé à bâbord s’accommode mal de la poche d’air emprisonnée dans le spi qui a tendance à le dégonfler en faisant pression sur son extrados. La faute au guindant libre du spi qui empiète au vent sur son territoire ; au contraire du gennaker et du génois en papillon qui, avec leurs guindants quasiment jointifs, travaillent comme une seule unité. Nous nous affranchissons donc du génois. La grand-voile à cette allure déventerait le spi, affalée sur la bôme, ses lattes se reposent. Alors que nous longeons la côte, nous croisons trois voiliers qui remontent au Nord en sens inverse. La nuit tombe quand nous approchons du cap Palliser, extrémité Sud de l’île du Nord qui défend le Détroit de Cook.
Ce redoutable entonnoir de quinze milles de large entre deux îles montagneuses canalise vents et courants de marée avec violence. Alors qu’à quelques milles le vent est maniable, il est ordinaire d’avoir 30 nœuds dans le Détroit de Cook ! La morphologie de ses fonds sous-marins n’arrange pas les choses : strié de deux canyons encaissés, profonds de cinq cents mètres, débouchant cent mètres sous la surface sur le plateau continental, ils participent à l’accélération des flux. A l’orée de ces canyons le courant peut dépasser les quatre nœuds ! Il faut donc soigner son passage dans ces eaux, calcul de marée, itinéraire, vent et courant dans le sens de la marche, la chorégraphie doit être parfaite !
Tout le monde ici connait l’histoire du Wahine, ce ferry qui s’échoua en 1968 dans la passe qui mène au port de Wellington occasionnant 53 victimes. Un triste hasard a fait rencontrer le cyclone tropical Giselle et un front froid en provenance d’Antarctique dans la terrible zone d’accélération du Détroit de Cook générant des rafales à 150 nœuds (275 Km/h) ! La Nouvelle-Zélande subissait la pire tempête de toute son histoire.
La nuit est tombée. Graduellement, le vent s’oriente par le travers et fraîchit. Au premier pic à 17 nœuds le spi est enroulé, nous sommes encore à trois milles du cap Palliser. Le Génois et la grand-voile reprennent du service. Dans le contournement du cap nous franchissons notre latitude la plus Sud atteinte en Nouvelle-Zélande : 41° 39,4’ Sud. Des tide ripes (tourbillons) nous secouent un peu tandis que le vent réel dépasse brièvement les 20 nœuds mais nous sommes maintenant au portant. J10 : 93 Mn dont 87 Mn sur la route directe, notre moyenne sur axe repasse au-dessus des trois nœuds !
J11 – 29 janvier
Incroyable mais le vent nous lâche dans le Détroit de Cook. Nous alternons moteur et voile, le timing de marée ne nous permet plus de traîner. Quand nous arrivons à l’entrée de la passe qui donne accès à Wellington Harbour, une grande baie très enclavée, elle commence déjà à se vider. Le jour se lève. Nous terminons au moteur jusqu’à Seaview Marina, une marina située à Lower Hutt, au NE de Wellington Harbour en face de la capitale. J11 : 7 heures de navigation, 22 Mn dont 13 Mn au moteur, vitesse moyenne : 3,2 Nds.
De Bay of Islands (Opua) à Wellington, il nous aura fallu pas moins de onze jours, trois stop pour défaut de vent et courir 700 milles pour venir à bout des 600 milles de la route directe ! Soit une vitesse moyenne d’à peine 3,3 nœuds sur axe ! Plus déplaisant, nous sommes contraints de faire 70 milles au moteur, soit quasiment autant que durant les quelques 11’000 milles et presque deux ans de notre traversée du Pacifique commencée à Valdivia au Chili !
Cette navigation fastidieuse mais formatrice nous ouvre les yeux sur la difficulté qu’il y a à naviguer à la voile en Nouvelle-Zélande. Trop ou pas assez de vent, des créneaux navigables exploitables mais (trop) courts entre les fronts froids de NW et les squash zone de SW des hautes pressions qui les suivent, des distances importantes à couvrir entre deux abris, une météo changeante et imprévisible au-delà de trois jours de prévision, un cimetière à cyclones avec Fehi, Gita et Hola pour cet été austral 2018, des effets côtiers puissants : un ensemble de facteurs qu’il est bien difficile de mettre tous au vert avant d’envisager la moindre navigation surtout dans le temps imparti par notre « visitor visa » de trois mois prolongeable trois autres mois. D’autre part, le phénomène La Nina actif pendant notre séjour, favorisait la formation de cyclones à l’Ouest de la ligne de changement de date et les alizés renforcés poussaient les eaux chaudes du Pacifique central jusqu’à nous, occasionnant un réchauffement significatif de la mer. En conséquence, cet été 2018, altéré par une météo très perturbée, fut de mémoire de kiwis particulièrement pluvieux.
Nous changeons alors de stratégie en révisant à la baisse nos ambitions sous voiles pour favoriser la découverte de l’île du Sud par voie terrestre. L’été austral ne dure pas, à l’automne il faudra déjà envisager le convoyage retour sur l’île du Nord avant les grosses dépressions hivernales qui touchent plus durement l’île du Sud. Nous ne circumnaviguerons donc pas toute la Nouvelle-Zélande. Nous laisserons plutôt le bateau sur une bouée dans les Marlborough Sounds, un ensemble de fiords au Nord de l’île du Sud, pour partir à la découverte de cette île montagneuse en stop et en trek, deux activités que nous étions venus spécialement chercher ici et que nous chérissons au moins autant que notre vie nomadique à bord de L’Envol.
L’ex-cyclone Fehi vient de passer sur la marina où nous nous sommes réfugiés. Nous avons eu un max à 60 nœuds pour un record à 76 nœuds (140 Km/h) enregistré à Wellington. Cela s’est peu ressenti car l’angle NE de Wellington Harbour où est implantée Seaview Marina est bien protégé du Nord, on ne peut pas en dire autant de la marina du centre ville de Wellington qui était passablement agitée pendant cet épisode. Malheureusement, il n’y a pas de mouillage offrant une protection suffisante pour ce type d’événement dans cette grande baie à la côte désespérément peu ajourée.
La Nouvelle-Zélande est encore une fois durement touchée : des arbres tombés, des vols annulés, 6’500 habitants d’Hokitika, sur la côte Ouest, privés d’électricité, des pluies diluviennes, des inondations sur la côte Est d’Auckland (marées de vives eaux), des routes inondées par la mer…
Compensation bienvenue, les services météo du pays sont à la hauteur des brusqueries du vent. Ils diffusent quatre fois par jour des bulletins très complets sur la VHF que l’on capte très bien en mer. Ce service de prévision météo est complété par un ensemble de balises réparties sur l’ensemble du littoral qui égrènent la force et la direction du vent en temps réel sur la VHF. Il est donc possible de suivre l’avancée d’un front en écoutant les balises concernées s’enflammer les unes après les autres. Un excellent moyen pour paramétrer au mieux une « extraction » comme celle par exemple de s’arracher au Détroit de Cook en maximisant le temps de navigation disponible dans des conditions de vent et de mer acceptables.
Cela dit, il faut une bonne maîtrise de l’anglais et une bonne méthodologie pour recueillir l’information adéquate sans rien en perdre. Cette tâche délicate et primordiale sera relevée avec brio par Carina. Un pré-requis nécessaire est de bien comprendre le découpage géographique des zones météo, les emplacements des balises et d’identifier quelques points de repère récurrents.
Qui verrons-nous arriver à Seaview Marina alors que Fehi commence à monter en puissance ? Dave avec son Starlit, bien sûr ! Surpris par la montée du vent dans le Détroit de Cook, il se trouvera dans l’impossibilité de réduire et ce défaut d’anticipation l’obligera à tirer des bords toutes voiles dehors, le bateau couché sur l’eau, fauché par 40 nœuds de vent. Heureusement, Starlit est un robuste bateau en acier ! Dave nous racontera ses nombreux déboires sur l’eau mais aussi sur terre, une sorte de Fantozzi kiwi, et le plus surprenant, c’est que comme tout les Fantozzi il s’en sort toujours !
La marina est quelque peu isolée dans un centre industriel tristounet. Il faut faire du stop pour avitailler le bateau au supermarché le plus proche et le centre de Wellington est à 20 minutes par le même moyen. Cette dernière a beau être la capitale, avec 200’000 habitants, ce n’est par sa population que la troisième ville de Nouvelle-Zélande après Auckland et Christchurch. Nous apprécierons beaucoup son charme, son bord de mer, ses musées gratuits.
4 et 5 février
Post Fehi, nous quittons la marina avec le premier créneau météo autorisant la traversée du Détroit de Cook. Au menu, 15-20 nœuds de Nord, une marée à faveur bien qu’à rebrousse-poil du vent, un ciel dégagé. Nous sommes cinq voiliers à nous élancer ce jour-là. Il nous faudra quatre heures et demie pour couvrir les 25 milles de la traversée avec une pointe à plus de 9 nœuds au large de Karori Rock, là où les vagues seront les plus creuses.
L’île du Sud. Nous franchissons l’entrée du Tory Channel juste avant la renverse, ouf car alors ce dernier se déverse dans le Détroit de Cook en générant un courant de 7 nœuds impossible à remonter ! Dans le canal Tory lui-même le courant est très perceptible et comme nous sommes déventés, nous reculons. La baie de Te Rua nous héberge pour la nuit.
Le lendemain, aidés par le courant, nous tirons des bords jusqu’à la baie de Ngakuta, proche de la ville de Picton, dans le Grove Arm du Queen Charlotte Sound, un sous-ensemble des Marlborough Sounds. A Picton, un couple abordé pour une question anodine, nous offre spontanément leur bouée située justement dans notre baie de Ngakuta ! Nous y laisserons le bateau près de deux mois, le temps de découvrir l’île du Sud.
Lors d’un trip en stop, après que nous ayons narré à notre conductrice, Pep, notre traversée du Détroit de Cook – impressionnante pour notre petit esquif – elle nous avouera comprendre tout à fait puisqu’elle aussi l’a faite, mais à la nage et en huit heures ! Notre fierté de marin s’envola aussitôt au profit d’une grande humilité ! Il semble que la tradition remonte à 1831, depuis une centaine de nageurs ont réitéré cet invraisemblable exploit. Pep a quand même dû s’entraîner deux années et prendre du gras pour résister aux eaux glacées avant de se lancer et réussir !
Nos aventures terrestres, en stop et en trek, sont relatées dans ces articles :
Extraction de l’île du Sud
Fin mars
Deux mois se sont écoulés, l’été austral est maintenant derrière nous, l’automne s’installe. Il est temps de remonter au Nord sur la route de Bay of Islands et en profiter pour visiter Aukland et le Hauraki Gulf. Une première fenêtre météo se referme alors que nous étions idéalement positionnés dans le Tory Channel pour profiter de la bascule de vent due au passage d’un front. Ce dernier nous aurait permis de nous extraire du Détroit de Cook avec du Nord puis de remonter la côte Est de l’île du Nord avec du Sud.
Finalement, un anticyclone s’installe sur la Mer de Tasman, il va arroser la côte Ouest de l’île du Nord d’un flux de SW pendant plusieurs jours, c’est notre créneau ! La côte Ouest est réputée plus exposée car les basses pressions qui naissent en Mer de Tasman y développent des vagues redoutables. Si la côte Est est plus accueillante c’est bien grâce à la Nouvelle-Zélande qui fait office de barrière aux grosses mers. Facteur aggravant, la côte Ouest ne propose aucun abri, les entrées de rivière sont encombrées de bancs de sable qui bougent d’une année sur l’autre et les courants qui les traversent sont rédhibitoires, à ne pas tenter sans une aide locale. Bref, naviguer sur le flanc Ouest de la Nouvelle-Zélande nécessite une météo à toute épreuve et c’est justement ce qui est entrain de se produire !
J1 – 3 avril
En prenant par anticipation une bouée à Ship Cove, nous sommes idéalement placés à la sortie du Queen Charlotte Sound. Tandis que L’Envol piaffe d’impatience, Carina est à l’écoute des balises. Celle de Brothers Islands, la plus proche, vient justement de passer de 35 à 20 nœuds et par chance c’est bientôt la renverse dans le Détroit de Cook.
Le point rouge : L’Envol en standby à Ship Cove
18:30. Nous quittons Ship Cove à la nuit tombante. La fin de la brise vient de sonner le glas du coup de vent qui agitait le Détroit de Cook. Il nous faudra avancer vite car le lendemain après-midi, un second coup de vent pourrait bien nous cueillir au Sud du cap Egmont. On compte sur le courant de marée pour nous aider dans les premiers milles. En enroulant le Farewell Spit, le vent de SW s’incurve à l’Ouest puis en s’engouffrant dans le Détroit de Cook il évolue NW. Nous sommes donc à l’allure du près, particulièrement vulnérables durant les premières 24 heures. Si le vent forcit de trop nous devrons abattre avec le risque de se faire enfermer à l’intérieur de la grande incurvation que fait la côte entre le Détroit de Cook et le cap Egmont. Une bonne chose : en s’éloignant du Détroit de Cook, le vent retrouve progressivement sa direction SW, il adonne.
23:30. Déjà 30 milles engrangés à 5,8 nœuds. Une bonne moyenne due en partie au courant de marée. Alors que nous débordons Stephens Island, douze milles à notre Ouest, elle-même la prolongation de D’Urville Island, le vent forcit. Peut-être sommes-nous soumis à un effet venturi malgré la distance. Nous touchons maintenant 25 nœuds réels pour probablement 30 nœuds apparents. C’est une estimation car depuis quelques jours notre aérien ne délivre plus les datas de vent, conséquence directe, nous ne pouvons plus utiliser le pilote en mode vent, ce qui serait bien pratique pour suivre le retour progressif du vent sur sa course SW ! Je suis anxieux, trois ris ont été pris dans la grand-voile, la trinquette a été arrisée, nous avons un peu abattu, mais nous gîtons encore trop. Envoyer le tourmentin dégraderait notre près. Que faire ? Abattre ou réduire encore nous décaleraient à l’Est dans l’incurvation de la côte, le gréement souffrirait de toute façon pour en ressortir au louvoiement contre les vagues ; continuer ainsi pour tenir notre cap à tout prix et nous avons une chance de doubler le cap Egmont sur un seul bord. La question ne se pose pas longtemps, une heure s’écoule et le vent redevient maniable.
4 avril, 7:00. Encore 36 milles engrangés à 4,8 nœuds. La marée ne nous aide plus, peut-être même nous contre-t-elle légèrement. Le jour s’est levé. Comme prévu, le Détroit de Cook perd peu à peu de son influence, le vent reprend sa course propre, notre trajectoire s’infléchit à l’Ouest. Notre but, le cap Egmont, joue avec l’étrave, passera, passera pas ?
Nous longeons au près serré la vaste zone de hauts fonds de la South Taranaki Bight pendant plus de vingt milles, laissant à tribord une plateforme offshore. Au loin, le volcan Taranaki a la tête dans les nuages. Dommage, il faudra un désagréable mais court contre-bord de trois milles pour assurer le passage du cap Egmont.
16:30. Encore 52 milles engrangés à 5,45 nœuds. Le cap doublé nous pouvons abattre de plus de vingt degrés, L’Envol s’ébroue et accélère à près de 7 nœuds. Maintenant sortis de la perfide incurvation, on se détend un peu, le plus dur est fait. De plus, le coup de vent redouté se développe actuellement derrière nous, à notre SW, nous sommes passés avant qu’il occure. J1 : 130 Mn, vitesse moyenne : 5,4 Nds.
J2 et J3
Le vent adonne, tournant Sud, il nous touche d’abord par le travers puis nous passons les voiles en ciseaux au portant avec le génois tangonné au vent, ensuite tout dessus avec la trinquette envoyée en complément, enfin en papillon avec la grand-voile affalée au plein vent arrière dans un régime de vents mollissant. La mer est belle, RAS. J2 : 147 Mn, vitesse moyenne : 6,1 Nds, J3 : 116 Mn, vitesse moyenne : 4,8 Nds.
J4 – 6 avril
La nuit est tombée. Le contournement des caps siamois qui marquent l’extrémité NW de la Nouvelle-Zélande, le cap Maria van Diemen et le cap Reinga, a débuté. Nous enroulons le Pandora Bank, un haut fond de six mètres situés à sept milles de la côte sur lequel les vagues brisent couramment. Les conditions de mer sont bonnes et nous sommes, par chance, synchro avec l’étal. Tout va pour le mieux.
00:00. Nous sommes passés tribord amure. Au moment où je soulage la tension de la drisse pour renvoyer la grand-voile, réduite du fait des vagues, la drisse en dyneema cède et la voile retombe avec fracas sur la bôme ! En approche du délicat cap Reinga, de nuit, c’est un coup dur. Sans elle, nous ne pourrons pas faire de près sur la côte Est. Pour réparer, il y a bien quelques mouillages exposés dans les environs mais pas d’abri notable. De plus, je ne dispose pas des cartes de détail de cette partie de côte oubliée, une approche de nuit est donc proscrite. Je n’ai pas le choix, j’enfile le cuissard d’escalade et la frontale vissée sur le front, Carina me hisse avec la drisse de spi onze mètres au-dessus du pont. Nous sommes toujours en route sous génois seul entre trois et quatre nœuds, le bateau saluant chaque vague d’un coup de gîte. Le gréement est-il dimensionné pour tenir 80 kilos dans les hauts dans ces conditions ? Parfois je dois me cramponner comme un koala sur sa branche. Il me faudra deux allers-retours pour parvenir à insérer la drisse de spi dans le réa de la drisse de grand-voile.
Ce faisant, nous avons doublé le cap Reinga. La grand-voile gréée, l’étrave peut prendre la direction du North Cape. Nous sommes tout au Nord de la Nouvelle-Zélande sur le parallèle 34° 22’ Sud. Une transition de vingt milles vers l’Est qui voit le retour du près. Il fait jour quand nous doublons le North Cape. Après un passage à vide, déventés, la brise prend le relais. Nous descendons la côte Est au près dans des conditions un peu molle mais sur une mer plate. Nous avons 70 milles à parcourir avant de recroiser, à l’entrée de Bay of Islands, notre route des Fidji. J4 : 106 Mn, vitesse moyenne : 4,4 Nds.
J5 – 7 avril
22:00. Nous passons au large de Bay of Islands sans nous dérouter car notre véritable objectif est la ville d’Auckland 100 milles plus au Sud. Au cap Brett le vent devient tenu. On s’acharne au louvoyage durant quelques bords avant de finir au moteur jusqu’à Whangamumu Harbour atteint à 5:00 le matin du 8 avril. Nous sommes mouillés côté Est de la longue et étroite péninsule qui mène au cap Brett mais par voie terrestre à peine trois kilomètres nous séparent de Bay of Islands. J5 : 10 heures de navigation, 40 Mn dont 3 Mn au moteur, vitesse moyenne : 3,9 Nds.
Une joie et une victoire pour nous car des Marlborough Sounds à Whangamumu Harbour, il nous aura fallu à peine quatre jours et dix heures pour couvrir les 540 milles de ce convoyage retour effectué à la voile. Soit une vitesse moyenne de 5 nœuds. Une navigation à comparer aux onze jours du trajet aller et aux 70 milles de moteur qui auront été nécessaire, le tout à une vitesse moyenne d’à peine 3,3 nœuds sur axe !
Un grand merci à :
Darrel, pêcheur à Gisborne, pour sa place de port
Gilles et Marie Louise, pour leur accueil et le repas partagé dans leur maison de Gisborne
Alan, manager de Seaview Marina, pour son prix d’ami
Denis et Ann, rencontrés en stop à Lower Hutt, pour leurs informations sur les Marlborough Sounds, l’invitation à manger indien dans un restaurant
Jim and Denise, pour le prêt de leur bouée dans la baie de Ngakuta, proche Picton
————–
La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales en Nouvelle-Zélande sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.
Publié le 15/06/2018 de la place des cocotiers, ville de Nouméa, Grande Terre, Nouvelle-Calédonie, GPS 22 16.27 S 166 26.5 E
Envie de nous donner un coup de main ? Visites la page de financement participatif de L’Envol : www.intothewind.fr/crowd-funding/ ou cliques sur le bouton « Faire un don ».