1’000 milles au près
Des îles Fidji à la Nouvelle-Zélande
dixième étape de la transpacifique
du 21 au 29/11/2017
1’082 Mn – 8 jours de navigation effectuée à la voile
vitesse moyenne : 5,6 Nds
meilleur 24h : 156 Mn
Préambule
Des latitudes 17 à 35 Sud, 1’075 milles séparent Lautoka aux Fidji d’Opua en Nouvelle-Zélande, une longue traversée de huit à dix jours qui laisse pas mal de place aux hasards météo. L’atterrissage notamment doit être bien ajusté : mieux vaut ne pas dépasser les symboliques 30° Sud sans une prévision favorable.
La saison cyclonique débute officiellement le 1er novembre, les bateaux assurés désertent la zone avant cette date. Dommage car c’est encore tôt pour un bon créneau météo, l’été austral débute seulement en décembre et avec lui des conditions plus saines dans le Pacifique Sud. N’ayant pas d’assurance, nous sommes libres de nos choix stratégiques. Chance inespérée, quatre jours après la remise à l’eau de L’Envol une fenêtre se dessine et nous décidons de la saisir.
Notre configuration météo est celle d’un anticyclone centré sur la Nouvelle-Zélande, arrosant la route directe au 188 vrai avec un flux de SE soutenu dans la première moitié de la traversée, tournant Est et mollissant dans la deuxième moitié. C’est donc une navigation au près, à 70-80° du vent apparent dans la première partie où l’on va perdre du terrain à l’Ouest en suivant un cap au 200-210 vrai, puis grâce au vent adonnant de la deuxième partie regagner à l’Est ce qui a été perdu en suivant un cap au 170-180 vrai, toujours au près à 70-80° du vent apparent.
Aux Fidji, il est préférable de faire sa sortie à Suva, le port de sortie le plus à l’Est de l’île du Sud (île de Viti Levu). Cette option fait gagner 70 milles dans l’Est par rapport à Lautoka. Certains voiliers partent des Tonga, 450 milles à l’Est de notre route directe, avec l’avantage de pouvoir s’abriter à Minerva Reefs si la fenêtre météo envisagée se refermait.
On peut décomposer cette traversée en trois phases :
Phase une :
Profiter des conditions calmes initiales pour faire de l’Est. L’absence de houle et le vent faible permettaient de faire du près serré dans des conditions de plaisance. On s’éloigne donc à l’Est de la route directe
Phase deux :
Faire le dos rond dans les conditions fortes. L’Envol, petit bateau, souffre beaucoup du fait des vagues. C’est le moment d’abattre pour préserver son haubanage qui encaisse de grosse surtension chaque fois que l’étrave tombe à plat dans le creux de la vague. Il faut trouver le bon compromis entre l’obligation d’économiser le matériel et la nécessité de ne pas trop perdre de terrain. On s’éloigne donc à l’Ouest de la route directe. Nous utilisons notre pilote automatique Raymarine en mode régulateur d’allure afin de grappiller toutes les adonnantes de passage, ce qui donne un air joyeusement ivre à la trace GPS.
Phase trois :
Retour de conditions soft. Fini les atermoiements, on prend enfin le cap de la route directe et on s’y tient !
Dans le vif
Après sept semaines de navigation et plus de 670 milles parcourus dans les îles Fidji, départ le 21 novembre 2017 à 7:42 AM locale (UTC+13) de la baie de Momi, 23 milles au Sud de Lautoka. Cap est mis sur Opua en Nouvelle-Zélande, un port d’entrée de l’île du Nord, 1’050 milles à notre Sud.
Jour 1
> Transpacifique jour 69
> 22 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 19 51.84 S 176 48.41 E
> Dernières 24h : 125 Mn
Trois milles à l’Ouest de la baie de Momi, nous franchissons la passe Navula et avec elle nous sortons concrètement des Fidji. Le début de navigation est laborieux dû au dévent de l’île de Viti Levu. Après quelques milles nous touchons enfin le vent météo et L’Envol accélère. Le pilote en mode régulateur d’allure, nous suivons les hésitations du vent au près serré, la mer est maniable et le vent faible, GV haute et génois entièrement déroulé.
Dans sa nouvelle robe, le bateau glisse sans effort, un constat réjouissant. De plus nous sommes en conformité avec la contraignante législation « anti-pestes » new-zélandaise.
Mi-journée, le vent forcit, un puis deux ris sont pris dans la GV. Une pluie diluvienne s’installe pour une douzaine d’heures, la trinquette est envoyée, la mer se désorganise, on abat légèrement. Certaines vagues arrosent le bateau copieusement, ça promet pour la suite ! Trempé, je dors recroquevillé au pied de la descente sur un bout de Karrimat. Carina, calée dans la toile antiroulis, roupille sec. La pluie s’estompe en fin de nuit et le vent se calme un peu.
Un puissant anticyclone est entrain de se mettre en place sur la Nouvelle-Zélande, nous évoluons sur son flanc Nord dans le flux de SE qu’il nous envoie. Les prochains jours seront les plus délicats, le vent va forcir et se maintenir au SE, il faudra probablement abattre pour mieux prendre les vagues et donc s’écarter de notre route directe. Ensuite le vent tourne à l’Est et tombe un peu, nous pourrons alors piper à nouveau et regagner dans l’Est ce qui aura été perdu. Nous sommes en tout cas partis pour huit à dix jours de près, une première pour L’Envol et son équipage.
Jour 2
> Transpacifique jour 70
> 23 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 22 6.9 S 176 27.2 E
> Dernières 24h : 139 Mn
Durant les six premières heures de la journée, nous avons pu mettre un peu d’Est dans notre course au Sud avec un cap au 170 vrai. Puis le vent a refusé – conformément aux prévisions météo – mais nous avons pu tenir la route directe presque toute la nuit.
Avant le levée du soleil, les conditions ont forci et nous avons du abattre, nous nous écartons maintenant peu à peu de notre route avec un cap au 200 vrai. Nous devrions sortir de cette squash zone (renforcement de l’alizé au Nord d’un anticyclone généralement supérieur à 1030 hPa) samedi ou dimanche avec un affaiblissement et une rotation bienvenue à l’Est de l’alizé. En attendant, on fait le dos rond dans 18-24 Nds de vent réel avec des pointes à 27 Nds, sous trois ris et trinquette, abattus à 70° du vent.
Le voilier « Morgane » nous talonne de peu. Nous échangeons nos positions. Devant, il y a « Enough », un voilier qui suit la même route. Nous avons croisé un cargo hier dans la journée, il est passé trois milles devant notre étrave.
Jour 3
> Transpacifique jour 71
> 24 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 24 25.67 S 175 43.26 E
> Dernières 24h : 146 Mn
Notre route au 200° s’est poursuivie durant six heures avant que l’alizé ne tourne un peu Est, adonnant. Les dix-huit heures suivantes – le reste de la journée et toute la nuit – nous nous sommes assez peu éloignés de la route directe. Le matin, après 146 milles courus en 24h, nous accusions 18 milles de perte à l’Ouest de notre route.
Le bateau, régulièrement recouvert par les vagues, semblait devenir sous-marin tandis que le coulis d’eau épais s’évacuait sur les plexis du carré. Parfois l’une d’entre elles, particulièrement scélérate, remontait le pan incliné de la casquette pour s’immiscer sous pression entre elle et notre porte textile de descente, arrosant les marches. Un design à revoir ! Une autre, particulièrement puissante, éclata sur la plage avant, déplaçant le bateau comme s’il ne pesait rien et en s’engouffrant dans la housse de trinquette, arracha un raban qui la maintenait sur le pont.
Malgré tout, le troisième ris dans la GV a été lâché en cours de nuit. Pas de changement pour la trinquette, toujours haute.
L’inconfort de la navigation nous cantonne dans la toile antiroulis au vent pour Carina et le bas de la descente entre les cale-pieds pour moi. C’est plus agréable qu’il n’y paraît avec l’avantage de pouvoir intervenir rapidement. Somme toute, la « plaisance » reste plus confortable que les souvenirs que j’ai de mes bivouacs en montagne dans le vent, le froid et la neige, avec des vivres en quantité limitée.
La température tombe peu à peu tandis que l’on se rapproche des 30° de latitude. Fini les chaleurs insupportables ! Corollaire de cette ambiance confinée et humide, l’intérieur du bateau condense surtout la nuit. Le coup d’éponge au-dessus de la table à carte devient un geste de tous les jours.
Jour 4
> Transpacifique jour 72
> 25 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 26 53.16 S 174 49.64 E
> Dernières 24h : 156 Mn
Ces dernières 24h, calé à 70° du vent, sous trinquette et deux ris dans la GV, L’Envol a parcouru 156 Mn ! Dans cette option VMG qui exploitait au mieux les derniers vents soutenus, nous nous sommes encore écartés de 25 milles supplémentaires à l’Ouest de notre route directe.
Cette nuit a été plus éprouvante pour « Morgane ». Une centaine de milles à notre NNW, ils ont rencontré des conditions bien différentes : des grains ont croisé leur route générant des rafales jusqu’à 40 Nds et plus de 30 Nds de vent en moyenne !
Les entrées d’eau ont été résolues avec une pause de grey tape (scotch gris à tout faire) sur le dessus et le côté au vent de la capote, ainsi la porte textile de la descente n’offre plus de prise à l’eau. Nous avons ressorti les couettes et les chaussettes, une fraîcheur bienvenue s’installe durant la nuit.
Ce matin le vent est tombé et la mer est plus maniable, les voiles sont bordées, plus question de perdre à l’Ouest ! Dans 24h, la prévision météo prévoit du vent adonnant prenant une légère composante Nord, un joker pour se remettre en selle si d’ici là nous avons encore été contraints d’abattre.
Jour 5
> Transpacifique jour 73
> 26 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 29 7.55 S 174 34.67 E
> Dernières 24h : 136 Mn
Sur ces dernières 24h, la route directe a pu être suivie, des vents variables en force et le souci de s’économiser ont laissé le bateau légèrement sous toilé et la moyenne s’en ressent. Contrepartie intéressante, la gîte moins prononcée m’a permis d’occuper la bannette sous le vent, un gain en confort certain.
En dernière partie de nuit le vent a brusquement forci, le bateau à 70° du vent apparent, calé sur son bouchain, est parti pour un ride d’enfer, les bruits d’écoulements de fluide sur la coque étaient intenses. Quand un palier a encore été franchi, je suis sorti reprendre le troisième ris dans la GV. Ma crainte d’un départ au lof ne s’est pas confirmée, le pilote a fait le job aidé en cela par une mer maniable. Nous avons probablement perdu la girouette Windex dans cet épisode, le mât paraît nu sans cet appendice tant regardé !
Jusqu’à maintenant j’ai pu éviter d’amortir les fluctuations du vent avec le ris de la trinquette. Comme elle n’est pas sur enrouleur, il faut l’affaler, modifier le point d’amure et d’écoute, ferler l’excédent puis la renvoyer, la manip sur le balcon avant balayé par les vagues est exposée.
Les nouvelles batteries (2x100A), achetées aux Fidji, permettent une mise en service nocturne plus espacée de l’hydrogénérateur. Le jour le panneau solaire (140W) suffit malgré une couverture nuageuse importante. Depuis Ushuaia, nous n’utilisions qu’une unique batterie de 100A. Ces derniers temps, il n’était plus possible de lui ponctionner plus que 10-15A sans que son voltage ne tombe à 12,4V ! Il en résultait un usage intense de l’hydrogénérateur la nuit et une nécessaire mais délicate anticipation des ralentissements de la navigation car son rendement chutait alors inévitablement.
Jour 6
> Transpacifique jour 74
> 27 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 31 16.21 S 174 25.94 E
> Dernières 24h : 129 Mn
Toujours sur la route directe à 70° du vent apparent, L’Envol arbore tout dessus depuis la mi-journée. Beau temps, conditions établies.
Nous nous sommes lavés dans le cockpit, un vrai bonheur de se sentir propre. Carina a cuisiné la courge accompagnée de pain maison, c’était succulent ! Autant manger les produits frais car du fait des restrictions sanitaires en Nouvelle-Zélande, ils seront confisqués à l’arrivée par les officiels de la biosécurité.
La latitude symbolique des 30° Sud a été franchie en fin d’après-midi. Progressivement les journées se rallongent, il fait maintenant nuit à 20:30. Petit coup de speed en début de nuit, deux ris sont pris et le génois prend quatre tours.
Le système AIS nous signale la présence toute proche du voilier « Carola ». Par contact radio, nous apprenons qu’ils ont la même destination que nous, Opua. L’AIS nous dessine aussi leur trace sur OpenCPN, on comprend que leur pilote automatique est un régulateur d’allure car le bateau zig-zag autour de la route directe la rallongeant conséquemment !
Mauvaise nouvelle, on constate une petite entrée d’eau par le joint de quille tribord, L’Envol n’aurait-il pas apprécié sa dernière station debout ?
3:00 AM, le pilote fait bip-bip et me sort d’un profond sommeil. Mal réveillé, pensant couper l’alarme je mets le pilote en standby, le bateau change de cap et empanne, la bôme passe deux fois, Fantozzi sort de ce corps ! Empannage sans conséquence car le vent est faible et la GV bordée. Je renvoie d’ailleurs un ris et déroule tout le génois, dommage il aurait fallu le faire plus tôt, on a laissé cinq milles nous échapper, argh !
Atterrissage prévu mercredi matin dans 48h. Formalité requise, un mail « 48 hours prior notice of arrival » est envoyé aux douanes d’Opua. A Lautoka, nous avons envoyé un document plus complet, le formulaire NZCS 340 « Advance notice of arrival ».
Jour 7
> Transpacifique jour 75
> 28 novembre 2017 7:42 AM UTC+13
> GPS 33 29.53 S 174 17 E
> Dernières 24h : 133 Mn
Déjà trois jours et 390 milles que nous collons à la route directe au 183 vrai. Le dernier ris a été lâché au petit matin puis repris dans la journée puis relâché dans la soirée, tandis que le vent tournait progressivement vers l’avant du travers, enfin ! Jusqu’ici, nous n’avions rien vu des adonnantes prévues par le modèle, progressant invariablement à 70° du vent apparent. Heureusement que l’on s’est peu lâché dans l’Ouest, nous aurions eu à tenir un près plus corsé pour se maintenir sur la route directe !
Même constatation pour « Morgane » qui peine actuellement au près serré. Contrairement à nous qui visons la côte Est, leur objectif est de rallier directement Nelson par la côte Ouest, un port d’entrée au Nord de l’île du Sud.
Hier, nous avons longuement tenu compagnie à « Carola » dans ses circonvolutions autour du 183 vrai. Puis, nous nous sommes peu à peu déhalés, mettant quelques distances entre nous, préférables pour passer une nuit sereine compte tenu de leurs trajectoires imprévisibles.
Opua n’est plus qu’à 110 milles. La prévision météo nous donne du vent mollissant pour le reste du parcours. C’est normal puisque l’on se rapproche de l’œil de l’anticyclone centré sur l’île du Nord. Aux Fidji nous avions 1011 hPa, puis au cours de la traversée, la pression n’a cessé de monter jusqu’aux 1025 hPa actuels ! Atterrissage toujours espéré mercredi matin dans 24h.
Jour 8
> Transpacifique jour 76
> 29 novembre 2017 8:30 AM UTC+13
> Quai de quarantaine d’Opua, Bay of Islands, île du Nord, Nouvelle-Zélande
> GPS 35 18.84 S 174 7.36 E
> Dernier jour : 118 Mn
Tout dessus, L’Envol poursuit sa course au 183 vrai. Un courant favorable semble l’aider dans sa tâche. A la mi-journée le vent reprend sa position préférée à 70° sur notre bâbord. Tant mieux, cela renforce un peu notre vent apparent compensant la baisse graduelle du vent réel.
Deux heures avant la nuit, le vent adonne et tombe sensiblement, nous déroulons le gennaker, L’Envol repart avec de nouvelles forces à l’assaut des 47 milles restant. Devant l’étrave, entre les caps Brett et Wiwiki, l’entrée de la Bay of Islands, au fond de laquelle se trouve Opua, dix milles dans les terres. Un banc de dauphins nous escorte longuement.
0:30 AM, à quatre milles du cap, le vent météo évanescent cède la place à une brise de terre. Notre ETA à 2:00 AM devient caduc. Il nous faut remonter cette brise au louvoyage sur encore quatorze milles. Le génois reprend du service.
Nous retrouvons notre ambivalent ami, le froid, laissé à Chiloé deux ans plus tôt. Nous empilons les couches de vêtements et les bottes sont de rigueurs.
L’ordinateur, affligé depuis quelques temps d’une étrange maladie, nous lâche pour de bon : le curseur tremblote au centre de l’écran et seul le clavier répond à nos sollicitations. Je sauvegarde nos datas et prends l’écran en photo pour avoir la carte d’atterrissage.
Le chenal est bien balisé, les marques de chenal fonctionnent, ça change des Fidji. Les courants de marée et la brise capricieuse ne nous facilitent pas la tâche.
L’aube naissante nous dévoile un paysage familier, émouvant comme une Europe retrouvée. Dans une campagne encore endormie, des écharpes de brume enlacent de rondes collines.
Après 23 milles à tirer des bords dont 1,8 mille au moteur, nous touchons enfin le quai de quarantaine d’Opua à 8:30 AM locale (UTC+13).
L’Envol enregistre son plus long bord de près : 1’082 milles bâbord amure ! Huit jours de gîte. Une navigation rapide – 5,6 nœuds de moyenne – sans casse majeur à déplorer. Nous sommes soulagés et heureux : nous voilà en Nouvelle-Zélande !!
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La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales dans le Pacifique Sud sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.
Publié le 31/12/2017 de la bibliothèque de Kerikeri, Bay of Islands, île du Nord, Nouvelle-Zélande, GPS 35 13.67 S 173 57.07 E
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