Rio Grande
350 milles de navigation en 3 jours : un départ au près d’Imbituba pour grappiller 12 heures sur le créneau météo qui annonçait seulement 48 heures de vent de NE, une arrivée en fin de flux avec de la pétole (donc du moteur) puis du vent de S (donc du près) avant d’embouquer le long chenal (15 milles) qui mène au ponton du musée océanographique de Rio Grande, ma dernière ville brésilienne !
Imbituba, j’en pars avec contentement car les vigiles du port commercial commençaient à me chercher des poux du fait de mes allers et retours à terre à la nage qui passent par l’enceinte du port où je suis persona non grata ; bien que par un habile chemin côtier j’avais trouvé le moyen d’éviter, pas assez discrètement apparemment, la guérite d’entrée…
D’autre part le vent de S charriait des particules fines noires en provenance des grues qui chargent du minerai à bord des cargos, celles-ci se déposent sur le bateau et avec la rosée et mes déplacements à bord m’impriment d’infâmes marques noires de partout, arghhh !
Donc départ à la tombée de la nuit avec un magnifique coucher de soleil dans une mer maniable et un vent de S faiblissant qui présente l’avantage de m’emmener au large à 50 milles des côtes à distance des pêcheurs. Pendant la nuit je suis joyeux de vivre en mer in situ la bascule de vent vers l’ouest telle que prédite qui me permet d’améliorer mon cap vers l’objectif bien que m’éloignant toujours de la côte. Au matin un peu de pétole avant que s’établisse le flux de NE me permet de nettoyer le pont à fond à grands seaux d’eau de mer et coups d’éponge. Un bon exercice de proprioception car je subis un roulis persistant sur fond sonore de lattes de GV qui claquent. Enfin je retrouve une totale liberté de déplacement sur mon bateau tout propre !
La nuit suivante fut bien sportive avec des pointes de vent supérieures à 30 noeuds et surtout une mer bien formée. Les voiles en ciseaux, GV non réduite, génois tangonné en partie enroulé. Les surfs à 9/10 noeuds se suivent, malheureusement j’ai du courant contraire et je ne vais pas aussi vite sur le fond, les Pilots Charts du mois d’août le montrent bien d’ailleurs, courant qui s’inverse en septembre, dommage… Un départ au lof me permet de confirmer la manoeuvre d’enroulement au winch du génois tangonné quand il se retrouve à contre du vent, ok ça le fait ; avec le recul un ris dans la GV aurait été préférable mais c’était sans compter sur le cours créneau de vent à exploiter à 100%. Le bateau c’est des décisions encore des décisions toujours des décisions !
C’est à la fin de la nuit suivante qui voit arriver la fin du flux de NE, sous une pluie fine et un ciel zébré d’éclairs au loin à tribord, au milieu de bateaux de pêche, que soudainement alors que le vent hésite, se met à débouler en force à 30 puis 40 noeuds et plus ! Je suis au travers et la bôme empanne dans un bruit terrible, dans la précipitation et la confusion mentale du quoi faire, dans quel ordre et urgemment, car le risque que le mat tombe est bien réel, je choque la GV et le génois que j’enroule au winch, ça branle, vibre, gite, glangue de partout, dans l’action je me tape le coude fortement mais m’en apercevrais qu’après, me cogne la tête contre la bôme ; je règle le pilote pour le près afin de prendre 3 ris, c’est fait mais en l’absence de voile d’avant pour tenir le cap j’ai virée de bord pendant la manoeuvre, le bateau file maintenant plein S à 7 noeuds sous GV seule et arrisée et je dois faire de l’ouest, au moins si ça doit durer je ne me dirige pas vers la terre, je parviens à empanner de façon volontaire cette fois et me dirige au portant vers mon but, le vent redescend et se stabilise à 30 noeuds, après 1 heure tout est fini et le jour se lève, enfin !
La presque pétole qui suit m’incite à sortir le gennaker, je suis au près bon plein (60º du vent). Echaudé par les évènements, je sers les fesses à chaque reprise du vent, j’abats puis reviens sur mon cap une fois la survente passée, je n’ose imaginer les conséquences d’une brusque montée du vent avec mes 40m² de gennaker même si je suis capable d’enrouler en 10/20 secondes…
Bref, après quelques heures de moteur puis un peu de louvoiement sous génois, je tente de passer au portant entre les 2 phares qui terminent les digues d’entrée du chenal mais le courant me fait reculer à l’étroiture, pourtant je file à 5 noeuds ! Je démarre le moteur et c’est à à peine plus d’un noeud que j’embouque la passe péniblement, une otarie ou un phoque nage pénard, le premier que je vois !
Après quelques milles la situation s’améliore, théoriquement la renverse devrait déjà avoir eu lieu mais c’est surtout le vent qui décide et l’ex flux de NE pousse encore par inertie au vidage le Lagoa dos Patos qui jouxte Rio Grande, une superficie énorme de quatre fois la superficie du Lac Léman mais heureusement un marnage faible ! Je sors du chenal et viens flirter avec les hauts fonds, je ne subis plus qu’un noeud à un noeud et demi de courant, je progresse maintenant à plus de 4 noeuds et c’est juste après la tombée de la nuit profitant des lumières de la berge que je m’amarre au ponton du musée océanographique de Rio Grande.
Je m’endors crevé après cette navigation éprouvante pour les nerfs dont les tribulations ne m’ont pas permis de dormir suffisamment.
Le lendemain j’apprends qu’il y a 6 jours un voilier argentin a coulé et que malgré les recherches aucune des trois personnes à bord n’a été retrouvé… Je me sens petit et merdeux…
Super accueil de Juan qui bosse sur un bateau de recherche universitaire sur ce même ponton du musée océanographique.
Maintenant que je ne suis plus illégal, j’ai la joie de pouvoir aller faire ma clearance. Je crains qu’il me soit reproché de ne pas avoir fait ma sortie de l’Etat de Santa Catarina avant de venir ici dans l’Etat de Rio Grande do Sul mais non, le policier m’explique l’histoire de ses ancêtres qui ont fuit Strasbourg pour échapper au joug Napoléonien, il me montre la partie mise à feu d’un fusil de l’époque avec le sceau Prussien et l’inscription de la fabrique : en Angleterre.
Après 7 mois passés au Brésil, je réalise que je comprends de mieux en mieux le portugais mais que mon parlé doit craindre un max !
Ici ça caille et la température de l’eau est passée de 19ºC à 15 !! Je crois que l’annexe va reprendre du service dans les prochaines escales, bien que les mouillages sûrs risquent de devenir rares, donc des dépenses de ports en perspective jusqu’au départ mi-novembre à priori pour les canaux de Patagonie et leurs caletas gratuites, à suivre…