Tramping sauvage
Nouvelle-Zélande
A la découverte de l’île du Sud
du 8/02 au 18/03/2018, 5 semaines « into the wild »
4’077 Km en stop, 56 véhicules, 73 personnes rencontrées, 12 nuits chez l’habitant
245 Km à pied, 7 refuges, 6 bivouacs, 7 cols d’altitude franchis
Notre dernier périple d’ampleur en stop remonte déjà à deux ans, nous avions parcouru quelques 12’000 Km en 27 jours à travers 4 pays d’Amérique du Sud. Cette aventure, relatée dans notre article Mission accomplie !, montra une fois encore que la générosité de chacun ne demande qu’à s’exprimer. Quel meilleur moyen que de s’en remettre au stop, dans un certain dénuement, pour la solliciter ? D’âme en âme, une route joyeuse, fraternelle et pleine de surprise s’offrit à nous. Après deux ans de transpacifique, nous étions impatients d’atterrir sur une terre assez grande pour permettre de renouveler cette expérience nourricière !
Carina et moi partageons le même attachement au stop, au-delà de son pouvoir locomoteur bien pratique, nous reconnaissons en lui un prétexte à la rencontre, une manière de provoquer la chance et le hasard, une occasion de donner et recevoir. Parce que nous sommes des inconnus de passage pour un temps limité, le stop engendre des moments libérateurs d’une profondeur rare, donnant l’opportunité aux âmes en peine de s’épancher.
Avant que nos trajectoires de vie se croisent, Carina traverse en stop 58 pays durant douze années. Elle suit, remonte, déroule, le fils ténu d’innombrables et invraisemblables histoires humaines, ce fil la mène d’un océan à l’autre, à travers pays, frontières et continents. Oubliant le but, l’horizon, elle se laisse porter par les affects humains, privilégiant le chemin à la destination, la forme sur le fond, le qualitatif sur le quantitatif, le spirituel sur le matériel.
Mes débuts en stop remontent à mon service militaire, j’avais 18 ans, c’était plus souple que le train pour faire le trajet Briançon – Grenoble pendant les permissions de sortie. Le vol de distance en parapente a cela de particulier que l’on ne sait jamais quel thermique sera le dernier, quel champ servira pour l’atterrissage, parfois bien loin de mes pénates, il me suffisait de tendre le pouce pour les retrouver.
Au retour de huit mois de voilier-stop autour de l’Océan Atlantique, je vends l’auto. Un long chantier de mise en cohérence débute. Je redécouvre le stop que j’investis comme une self-thérapie, un moyen de me réconcilier avec la nature humaine et la mienne propre, de mettre en pause mes questionnements existentiels, de prendre du recul en me concentrant sur l’écoute, politesse élémentaire, de ceux qui me font le cadeau de me prendre. Je mets de l’ordre dans ma vie en la simplifiant et en traquant le stress inutile. Sur le trajet Grenoble – Chamonix, je rejoins mes clients candidats à l’ascension du Mont Blanc en stop, piolet et crampons dans le sac.
Au bout de 4 ans, l’ensemble de mes possessions matérielles tient dans une malle, du matériel de ski et d’alpinisme pour l’essentiel, le « solde de tout compte » de mes 40 premières années est achevé. C’est une petite mort, car quand le grenier se vide de ses débris de vie compulsivement entassés c’est habituellement que l’on a tiré sa révérence et que notre descendance fait le ménage. La place laissée vacante donnera la possibilité à un projet de tour du monde de naître puis au fil de l’eau et du vent de croiser la route de Carina pour devenir simplement notre vie, une vie nomadique à bord de L’Envol. Comme une peau qui mue, une vie s’en est allée pour qu’une autre puisse voir le jour.
Tandis que L’Envol évite paisiblement sur sa bouée, nous préparons nos sacs avec soin dans une logique de marche en autonomie avec tente, duvets et réchaud. Nous ne serons pas toujours en stop avec la voiture pour les porter, nous comptons explorer les montagnes new-zélandaises à pied, alors chaque objet emporté a été bien pensé et réfléchi. L’annexe dégonflée est laissée chez Jim et Denise, les propriétaires de la bouée que nous occupons gracieusement dans la baie de Ngakuta. Une baie située à 10 Km de la ville de Picton. Pas facile de laisser L’Envol seul – ce bébé qui ne grandira jamais – même s’il se sent en sécurité ici dans le Grove Arm du Queen Charlotte Sound un fjord encaissé des Marlborough Sounds.
Première partie
En stop
du 8 au 19/02/2018, 1’263 Km, 20 véhicules
31 personnes rencontrées, 1 nuit chez l’habitant à Richmond, 2 nuits chez nos amis à Christchurch
Un grand merci à
Jeanette (Angleterre), Jane & Mike (Angleterre), Janna (Hollande), Dominique (NZ), Cat & Louis (NZ), Sio & Alison (Samoa), Jane (NZ), Johnny (NZ), Shannon (Australie), Matt (NZ), Rick (Etats-Unis) & Sarah (Belgique), Michelle (NZ), Johnny (NZ), Scott & Ada (Chine), Piyush Soni (Inde), Frith (NZ), Karen & John (Angleterre), Angel (NZ), Tim (Allemagne), Lucia (Amérique du Sud), Chris (Falkland) & Paula (Argentine), Cat (Etats-Unis), John (NZ), Pascal (France).
A pied
Une boucle au départ du lac Kaniere (Hokitika, côte Ouest de l’île du Sud), de la rivière Toaroha à la rivière Styx
du 12 au 16/02/2018, 5 jours de tramping, 45 Km
4 refuges : Cedar Flat Hut, Top Kokatahi Hut, Top Crawford Hut, Grassy Flat Hut
2 cols : Zit Saddle (1560m), Lathrop Saddle (1572m)
Lors de ce trek pluvio-nuageux, nous découvrirons le sens du terme tramping. Un mot qui désigne le fait d’explorer des vallées sauvages et reculées au sein de massifs montagneux impénétrables. Le chemin s’est depuis longtemps tari, il faut maintenant trouver et suivre des balises triangulaires orange marquant une ligne de faiblesse dans la végétation.
Un des nombreux franchissements de la Kokatahi River
Il peut s’agir d’un torrent, seul accès possible d’une vallée encaissée, qu’il faudra franchir et refranchir au gré de la praticabilité des berges, en évitant de se faire prendre par le courant ou déraper sur les rochers glissants, parfois en sautant de bloc en bloc, escaladant et désescaladant les plus imposants, en se méfiant des crues qui peuvent arrêter la progression ou couper la retraite ; il peut s’agir d’une crête escarpée dont la raideur imposera de se cramponner aux touffes d’herbes et aux racines. Le tramping, c’est un peu comme de l’alpinisme mais dans le bush !
Bien sûr, les chaussures ne sèchent jamais puisque les pieds sont dans l’eau toute la journée et les moyennes journalières sont particulièrement basses.
Corollaire, les refuges ou abris en libre accès, souvent non gardés, sont légions : plus de 900 huts gérées par le DOC (Department of Conservation) sont implantées sur l’ensemble du territoire !
On comprend pourquoi les termes trekking ou hiking ne convenaient pas. Le premier fait référence à des périples longs mais sans difficulté, le second caractérise des itinéraires plus exigeants nécessitant le franchissement de cols d’altitude ; mais les deux partagent l’usage de chemins roulants et bien tracés.
Dans cette boucle, plus on s’éloigne du point d’entrée, de la civilisation, plus les conditions de déplacement se dégradent. Il n’y a pas de ces sentiers au cheminement prémonitoire fait d’épingles et de lacets à la déclivité homogène permettant de s’élever sans fatigue entre arbres et rochers sans jamais s’y trouver confronté. Dans ce climat très humide, la végétation dense nous rappelle celle de la Patagonie et nous rencontrons les mêmes difficultés de progression.
L’onirique forêt enchantée de la Kokatahi Valley
Sur la photo de droite l’étonnant cableway qui permet de franchir une dernière fois la Kokatahi River avant d’atteindre la Crawford Junction Hut (440m).
Les obstacles sont si nombreux qu’il est vain d’imaginer pouvoir les éviter. Le parcours est chaotique, encombré de racines, arbres et rochers de toute taille. Il faut dans le même temps regarder loin pour identifier la suite tortueuse et proche, à ses pieds, pour décrypter le passage qui vient, exécuter dans le geste la séquence projetée, pied droit, pied gauche, une main éventuellement en renfort, recouvrer un équilibre compromis par une glissade inopinée, relancer un élan interrompu ; monter, descendre, éviter, contourner, les distances se rallongent.
Parfois, un récent glissement de terrain a ravagé la montagne et emporté le chemin, son succédané monte droit dans la pente, remontant une échelle de racines, jusqu’à toucher le terrain laissé intacte par l’érosion, puis c’est le même refrain mais à l’envers, plus délicat que la montée. Pour cent mètres de chemin disparus c’est une demi-heure de contournement improbable, les temps de parcours aussi se rallongent.
Heureuse compensation, dès que les 900 à 1000 mètres d’altitude sont atteints, on peut enfin dérouler la foulée car la forêt cède la place aux herbes hautes, puis aux cailloux, et vers 1800 à 2000 mètres aux neiges éternelles et aux glaciers. Un étagement décalé de plus de 500 mètres par rapport aux Alpes de nos latitudes européennes. Dans ce décor accidenté colonisé par une végétation exubérante, il n’y a pas d’espace pour installer une tente et l’humidité devient vite un problème quand le montage et le démontage se fait sous la pluie. Ce massif copieusement arrosé à longueurs d’années ne dérogera pas, imbibés telle des buvards, nous nous reporterons sur les refuges, trimballant inutilement la tente dans nos sacs pendant ces cinq jours.
Ces huts préfabriquées, livrées par (l’omniprésent) hélicoptère, sont montées sur place. Elles offrent un excellent niveau de confort et leur conception éprouvée par l’expérience est remarquable : grandes baies vitrées lumineuses, double vitrage systématique, intérieur bois cossu, poêle central, citerne d’eau de pluie alimentée par la toiture, plaque inox pour le réchaud, moustiquaires de fenêtre… Dommage que les sandfly, petits moustiques voraces, pullulent, une plaie new-zélandaise majeure !
Je vous rassure, en Nouvelle-Zélande, on trouve facilement chemin à son pied, il y en a pour tous les goûts, les capacités et les bourses ! Par exemple, les Great Walks, au nombre de 9, avec un dixième en cours de construction, sont la réponse locale au tourisme-business de masse. A grands renforts de prospectus A4 couleur qui tiennent plus du marketing que du dépliant éducatif, ils sont mis ostensiblement en avant dans les offices de tourisme et les centres d’accueil du DOC. Vous y trouverez un sentier large, homogène sur le fond et la forme, parfois recouvert d’un lit de gravillons blancs, avec des toilettes incongrues au détour du chemin, des drains d’évacuation des eaux pluviales, des rambardes, ponts suspendus et autres asepsies de la nature. La réservation des huts est obligatoire sous peine d’amende, le camping interdit hors des zones aménagées (et payantes)…
Après un bref passage à Christchurch chez nos amis Chris et Paula, nos aventures terrestres sont inopinément interrompues par la venue du cyclone Gita. Ce dernier nous commande de rentrer précipitamment baby-sitter le bateau.
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La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales en Nouvelle-Zélande sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.
Publié le 4/10/2018 de la Maison de la Femme, ville de Nouméa, Grande Terre, Nouvelle-Calédonie, GPS 22 16.4 S 166 26.67 E
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