Tour de Tasmanie VII
10 juin 2020
Mesdames et messieurs, chers lecteurs,
Bienvenue à bord de L’Envol,
Après le grand bol de nature vivifiante de l’épisode précédent, nous allons faire la connaissance de ceux et celles qui font l’âme de la Tasmanie : les hommes et les femmes qui la peuplent. Ce voyage dans le voyage commence à Taranna dans la Norfolk Bay. Nous déroulerons le fil d’Ariane des rencontres jusqu’à notre refuge hivernal de Murdunna et dans l’entre-deux nous visiterons pour la deuxième fois Hobart.
C’est parti !
Côte Sud-Est de Tasmanie
Taranna, Hobart et Murdunna
Légende de la carte : en rouge, la trace du bateau sur l’eau, nos mouillages sont symbolisés par les ronds (rouges) ; en jaune, nos traces à terre, en stop, à pied, parfois en annexe…
Au fil des rencontres
Du 10 juin au 15 juillet – Escale à Taranna
Avec Debbie, nous partageons cette joie simple que procure la marche dans la nature. A Taranna, nous l’avons accompagné dans son circuit préféré sur le flanc de la montagne derrière sa maison, un dédale de chemins sans balisage où nous nous serions perdus sans elle pour nous guider. Je me délecte de ces moments où déchargé de ma fonction de capitaine, je peux me détendre ; c’est la même chose avec le stop, quelqu’un d’autre trace la route pour nous et le qui-vive qui prédomine en moi peut céder la place à plus de sérénité.
Métamorphose
La difficulté en mer n’est pas d’y établir un record de vitesse mais bien de tenir la distance dans la durée. Je me sens comme le littoral, inexorablement grignoté par une érosion herculéenne. Il y a 8 ans, la marche avait été grande entre ma tâche d’équipier qui avait prévalu jusque-là et la réalité de ma fonction de capitaine en devenir. Soudainement, il fallait faire ses propres choix, les inconnues étaient nombreuses, l’ordre des priorités sujet à caution et la décision finale souvent assumée dans l’incertitude. Ce n’est qu’une fois le bateau dans un mouillage protégé que l’on peut éventuellement se féliciter.
Comme Bernard Moitessier le rapporte dans La longue route à propos de son Asie natale, le capitaine de jonque bénéficiait d’un traitement particulier, l’équipage ne lui adressait pas la parole et se tenait à l’écart, il était tabou de perturber la méditation qui conduisait à sa prise de décision.
Erodé par les forces telluriques de l’eau et du vent, il ne reste de ma motivation de départ, empruntée à une certaine idée romanesque de la plaisance, que la nécessaire exigence du mouvement. Aux origines, la manœuvre, la technique et la performance me captivaient, j’étais un concurrent (récalcitrant) de la régate mondialisée ; aujourd’hui, plus prosaïquement, nous naviguons pour la joie de découvrir un nouveau chez nous provisoire. L’érosion superficielle a révélé en moi une forte et revêche identité nomade.
Depuis cette découverte du jardin de Debbie, nous avons pris nos nouveaux quartiers à Beauty Point sur la Tamar River au Nord de la Tasmanie. Un jour nous recevons un email, Debbie et Nelson sont à Launceston pour visiter des amis et par un heureux hasard ce jour-là nous y sommes aussi. Presque un an après notre première rencontre, c’est l’occasion de partager un bout de chemin ensemble dans les Cataract Gorge. Un joli endroit, idéal pour des retrouvailles. A bientôt les amis, car comme on dit, jamais deux sans trois !
14 mars 2020 – Retour sur nos pas : nous rencontrons Bob pour la première fois à Port Davey, son bateau, George Bay, est amarré au ponton du Clayton’s Corner. Il assure, d’un site à l’autre, le transport des bénévoles en charge de l’entretien des artefacts historiques.
16 juin – Nous nous retrouvons à Taranna, juste à temps pour déguster la veille de leur départ un succulent poulet-coco. Merci Bob et Sue !
Tous les jeudis, de 14:00 à 16:00, le Yacht Club de Taranna ouvre ses portes à ses membres. Un imposant frigo à boissons trône dans la pièce et avec le comptoir du bar, on comprend que c’est là la principale activité et source de revenu du club. L’intérêt pour la navigation à la voile n’est guère perceptible. Néanmoins, grâce au wifi du Yacht Club nous bénéficierons d’une chose rare pour nous, internet à bord !
Entre baroudeurs
Au Yacht Club, nous rencontrons Tony, la soixantaine, d’origine écossaise. Tony a beaucoup baroudé, il a été, entre autres occupations, gérant d’un magasin de vélo et il est depuis peu propriétaire d’un pimpant voilier à la coque orangée. Avec sa soif d’apprendre et son ouverture d’esprit, il dénote un peu dans le paysage. Il nous invite à prendre un café et met généreusement à notre disposition sa douche et sa machine à laver. Sa maison étant à proximité du mouillage, c’est une excellente nouvelle.
Tony habite une grande bâtisse qu’il occupe seulement en partie. La pièce principale est organisée autour du poêle, et tandis que nous profitons de son rayonnement bienveillant, discutant et partageant quelques collations, la machine à laver travaille pour nous. Grâce à sa programmation très relax, chaque cycle nécessitant deux heures, nous passerons inopinément des après-midis entiers chez Tony.
Mon anglais progresse, j’écoute les sons, essaie dans sortir des syllabes, des mots, une phrase. Je ne comprends pas toujours tout et je ne peux pas participer autant que je le voudrais à la conversation, mais cette frustration sociale me pousse en avant au-delà de ma zone linguistique de confort. Carina a grandi baignée dans trois langues, l’estonien avec sa mère, le russe avec son père (qui ne parle pas estonien) et l’anglais avec son frère, une tierce langue – afin de ne pas avoir à choisir entre leurs géniteurs. Grâce à ses aptitudes relationnelles, la pratique du stop, les rencontres dues au hasard, notre tissu social s’enrichit de jour en jour.
Nous profiterons des déplacements en voiture de Tony pour réapprovisionner le bateau au village de Nubeena tout proche ou à Hobart à une centaine de kilomètres. Un jour, Tony nous emmène faire la découverte du Tessellated Pavement, dans le Nord de Pirates Bay, une dalle étrangement plate striée d’étonnantes rides géologiques et, grâce à la marée basse, nous pourrons rejoindre les îles Clydes à pieds. Merci Tony pour tout ce bon temps passé ensemble !
15-17 juillet – Entre Taranna et Hobart, il y a à peine 36 milles nautiques mais on y établit un autre de nos records de lenteur, 3 jours de navigation pour 50 milles réalisés ! Le vent météo est absent et en hiver la brise faiblarde tarde à s’installer, mais peu importe, nous ferons avec car nous savons que le but n’a d’intérêt que si la manière de l’atteindre est belle et conforme à une certaine éthique. En récompense de notre patiente progression, nous découvrirons de beaux mouillages et pas une goutte de ce nectar fossile et millénaire, appelé essence, ne sera dilapidée !
Du 17 au 25 juillet – Escale à Hobart
29 juin 2020 – Retour sur nos pas : la première fois que nous avons rencontré Laura, elle assurait ses fonctions de ranger (gardien du parc national) de la Three Capes Track au refuge Munro sur le chemin du cap Pillar.
Le chemin abandonné
Officiellement, « l’expérience » de la Three Capes Track commence par une dépose en bateau dans la Denmans Cove à Port Arthur puis trois refuges luxueux scindent la randonnée en quatre étapes, le coût total par personne avoisine les 300 €. A dessein, la jonction qui permet d’accéder à pied au début du sentier n’est plus entretenue et le parc en dissuade l’accès. Tout ça ressemble fort à une chasse gardée mais comme nous pensons que la nature doit rester gratuite et accessible à tous, il y avait là un défi sous-jacent à relever : trouver le début du chemin perdu qui mène à Denmans Cove, le retracer et sans dormir dans les refuges-hôtels faire la jonction avec la Fortescue Bay en passant par le cap Pillar en aller-retour !
Quand nous croisons Laura, nous avons déjà doublé l’imposante infrastructure de Surveyors en début de matinée et le centre Munro est déjà celui où les trekkeurs passent leur seconde nuit. Notre idée est de continuer à marcher tant qu’il fait jour avant de poser la tente opportunément quelque part sur le chemin du cap Pillar. Nous gardons ça pour nous mais rapidement Laura nous met complètement à l’aise, non seulement rien ne nous interdit de camper dans l’enceinte du parc mais en plus elle nous encourage à le faire à Seal Spa, juste après l’embranchement du Blade, un emplacement stratégique à 10 minutes du cap Pillar, parfait pour être le lendemain matin aux premières loges pour un lever de soleil d’anthologie !
30 juin – Le lendemain, quand nous repassons à Munro, Laura nous montre la carte d’anniversaire qu’elle a préparée pour Steve, son compagnon, qui prépare leur voilier Nangana pour un futur périple autour du monde. En cadeau, elle lui a acheté le Cruising Helmsman de juillet 2020, un magazine de voile australien. Coïncidence, c’est justement dans ce numéro que Carina décrit notre philosophie à bord de L’Envol faite de simplicité et de sobriété : « Small boat on a big sea » !
18 juillet – A Hobart, c’est l’occasion de revoir Laura et de faire la connaissance de Steve, Oliver (le canidé) et Peck (le volatile) durant un mémorable et gargantuesque pique-nique à Princes Park non loin de Battery Point. Merci SLOP !
21 avril 2020 – Retour sur nos pas : nous venons tout juste de prendre pied sur la côte Sud-Est de Tasmanie, c’est notre première visite à Hobart. Quand nous débarquons sur la petite plage étriquée de Battery Point, Michelle passe à proximité à vélo, elle sait déjà tout de nous car son voisin n’est autre que notre Pieter d’Odalisque !
Une belle surprise
Nous avons avec elle un cordial échange. Comme elle va faire ses courses, elle nous propose de nous offrir du poisson, elle s’excuse de ne pouvoir nous ouvrir sa porte car à ce moment les restrictions dues au Covid sont à leur maxima et chacun est tenu de rester chez soi. Le soir, quand nous rentrons à l’annexe, nous découvrons sur le pas de sa porte le poisson promis ! Ouah, quel bonheur de se sentir si bien accueillis, merci Michelle !
18 juillet – Trois mois plus tard, nous revoilà à Hobart sur la bouée de Pieter, plus de restrictions, c’est l’occasion de faire plus ample connaissance avec Michelle et Dave mis aussi avec la sœur de Michelle, Corinne, et son mari Chris. Nous partageons un savoureux repas tous ensemble conclu par un plateau de fromages à la française. Mais le clou de la soirée fut la découverte de l’humour hallucinant des Monty Python avec la scène anthologique de l’ultime gaufrette dans The Meaning of Life, nous sommes à moitié sous le choc, à moitié hilares, un souvenir impérissable !
En visite guidée
19 juillet – Le lendemain, nous passons la journée avec Pieter, le propriétaire et skipper d’Odalisque, un navire à propulsion diesel, spacieux et moderne, affrété pour des croisières-expéditions à Port Davey dans le Sud-Ouest tasmanien (cf épisode III). Judicieusement, Pieter nous propose une mousse d’excellente qualité qu’il n’utilise plus pour son bateau mais l’épaisseur n’est pas adaptée à notre petit voilier et nous devons abandonner à contrecœur l’idée séduisante de recycler à bord de L’Envol un bout d’Odalisque.
Photo précédente : la ville d’Hobart au pied du Mt Wellington (1270m). A ma droite on observe une succession de plans d’eau : d’abord Sandy Bay et la Derwent River, puis le bras de mer derrière Droughty Hill (153m) qui mène à l’isthme de Lauderdale, après lui, c’est la Frederick Henry Bay avec Sloping Island et Green Head qui marquent l’extrémité NW de la péninsule Tasman, enfin la Norfolk Bay.
Sur la crête au dernier plan on discerne à droite le Macgregor Peak (590m) et à gauche High Yellow Bluff (498m) avec entre ce dernier et mon épaule une lentille d’eau, la Blackman Bay en grande partie cachée derrière Big Blue Hill (411m). On devine l’emplacement du canal Denison où commence la péninsule Forestier et tout à droite Eaglehawk Neck, le point le plus bas sur la ligne de crête, où commence la péninsule Tasman.
Pieter nous fait l’honneur d’une visite guidée en voiture jusqu’au sommet du Mt Wellington, une grimpette de 1270 mètres de dénivellation depuis la Derwent River et Hobart. Nous sommes presque aussi hauts que les nuages et 20 nœuds de NNW balaient les parages. Le contraste de température avec le climat tempéré du bord de mer est criant, ça caille sévère mais cette ambiance alpine vivifiante nous est familière. La vue aérienne vers l’Est sur les péninsules Forestier et Tasman vient opportunément donner du relief aux cartes marines qui nimbent habituellement nos navigations.
Pieter et Jo sont des amis de Michelle et Dave, leurs maisons à Battery Point sont mitoyennes. Hier nous partagions un repas chez leur voisin, ce soir ce sont eux qui nous invitent à profiter du faste citadin. Leur maison est une galerie d’art que nous parcourons avec délectation, peintures et sculptures rendent hommage aux talentueux artistes de ces terres australes. Après ces bienfaits de l’esprit, une nourriture plus tangible – un délicieux poisson – comblera nos estomacs alanguis. Merci Pieter et Jo pour cette journée inoubliable !
L’Envol au régime
Je profite du ponton flottant MAST à l’entrée du Constitution Dock, une commodité gratuite située dans le centre historique de la ville d’Hobart, pour y amarrer L’Envol (à la rame et à la voile) et débarquer l’équivalent d’un équipier. Entre autres choses, mon biplace et ses deux sellettes changent de mains, Ramon, un moniteur de parapente local, saura en faire un bon usage. La sellerie arrière-tribord suit le même chemin, cette cabine servant d’espace de stockage, une mince et légère feuille de mousse antidérapante la remplacera avantageusement.
Pieter passe nous voir à l’improviste et nous donne une canne à pêche, un cadeau fort utile. Carina, fan de cuisine japonaise et autres poissons crus, en a déjà l’eau à la bouche. Merci Pieter, on ne manquera pas de te dédier notre première prise !
De fil en aiguille
30 juin 2020 – Retour sur nos pas : après deux jours de marche, nous terminons comme prévu notre Three Capes Track dans la Fortescue Bay. Il est tard, la nuit est tombée, nous sommes au bout de dix kilomètres de route forestière et à cette heure le trafic est nul. Dans la pénombre une barque en alu se dirige encore vers la rampe de mise à l’eau où une remorque attelée à un 4X4 l’attend. C’est notre dernière chance d’espérer rejoindre aujourd’hui la route principale et L’Envol. Pat et Tom reviennent d’une cession de grimpe dans les environs et rentrent justement sur Hobart, ils sont d’accord pour nous déposer au passage à Taranna, merci les gars !
Deux jours plus tard, nous recevons un email de Tom. Son père, David, est abonné au magazine Cruising Helmsman et il a fait le lien entre les stoppeurs que son fils a dépanné et l’article de Carina. David a un Farrier Trimaran de 33 pieds, un voilier ludique et rapide. Tout comme nous, il rêve d’horizons distants. Nous sommes cordialement invités à leur rendre visite quand nous débarquerons à Hobart.
24 juillet – La veille de notre départ d’Hobart, nous découvrons cette charmante famille et leur belle maison d’époque dans le centre de Battery Point, la soirée fut joyeuse et arrosée ! Merci à tous !
Le lendemain, le lit breton rempli des mousses pour nos nouvelles selleries, nous larguons les amarres (à la voile) du ponton flottant MAST, destination notre refuge hivernal de Murdunna dans la Norfolk Bay.
Photo précédente : le phare d’Iron Pot marque le début de la Derwent River. Sur le chemin du retour dans la Norfolk Bay, c’est un point de contournement important, le deuxième étant Green Head à l’extrémité NW de la péninsule Tasman.
Du 26 juillet au 18 octobre – Escale à Murdunna
A Murdunna, une brève et informelle enquête nous permet de découvrir qui était le 4 juin aux commandes de la pirogue polynésienne – ou plutôt du proa dans sa version contemporaine – lors de notre première et brève visite dans le King George Sound. Il s’agit de Rob, un architecte aux origines slaves (slovène et bulgare), qui avec sa femme Gina, d’origine anglaise, et leurs deux enfants ont vécu des années à Guernsey, une île britannique au large des côtes de la Bretagne Nord.
Sidecar
Rob a ce talent rare de pouvoir penser hors du cadre. Dans son métier d’architecte, il était connu pour résoudre les problèmes d’apparence insolubles, ainsi est né Sidecar, un esquif qui répond à une certaine vision du voilier : pas de quille protubérante, un tirant d’eau négligeable, des entrées d’eau fines et un devis de poids maîtrisé. En constant développement, Sidecar flirte aisément avec la vitesse du vent.
Etrangement, le bateau est conçu pour prendre le vent uniquement du côté de son flotteur, les coques ne virent pas de bord, seulement les voiles qui pivotent autour de leurs étais, chaque extrémité de la coque peut donc indifféremment revêtir la fonction de prou ou de poupe. De chaque côté de la poutre centrale qui relie le flotteur à la coque, un safran permet de diriger l’embarcation selon la prou (ou la poupe) du moment. Le flotteur accueille intelligemment le parc de batteries de servitude du bateau, une technologie au lithium quatre fois plus légère et deux fois moins encombrante à capacité égale qu’une formule conventionnelle au plomb-acide.
Rob et Gina, seront d’une grande aide, leur gentillesse et leur simplicité nous mettront tout de suite à l’aise. Nous partagerons de nombreux repas et découvrirons grâce à eux les vins jaunes sucrés australiens Dessert Wine ou Sticky, les équivalents de nos Sauternes et Monbazillac, mes vins préférés sans aucun doute.
Le couple de la joie de vivre
A Murdunna, Tim et Carol nous adoptent, leur maison est une terre d’accueil. De soirées pastas en soirées pizzas, agrémentées de petits-déjeuners aux délicieuses baguettes faites maison ou de repas carrément viandards, nous découvrons un couple qui aime partager leur table, leur savoir-faire et leur bonne humeur avec les gens qu’ils aiment.
Tim et Carol ont tenu un café à Melbourne, de cette période de leur vie, ils ont gardé « George », une machine à café imposante et dispendieuse qui peut accommoder le grain torréfié à tous les goûts et saveurs. Pour le profane, George ressemble au centre Pompidou, un assortiment abscond de tuyaux sous pression mais pour Tim et Carol, qui ont fait du café une religion, George est un être vivant capable entre leurs mains affectueuses et expérimentées de délivrer un café d’exception. Comme ils aiment prénommer leur maison, The Launch Ramp Cafe perpétue la tradition du partage d’une bonne tasse de café entre amis.
Tim et Carol ont un sens inné du spectacle, un soir où nous sommes invités à voir un film qu’ils affectionnent tout particulièrement, Tim nous ouvre la porte en plastron et haut-de-forme manifestement déguisé en gérant de cinéma, il nous donne nos tickets ; Carol, ouvreuse de son état, la lampe de poche à la main, nous accompagne en suivant le marquage au sol et nous affecte à nos sièges numérotés ! Nous sommes mystifiés par leur prestation et enchantés par cette soirée-spectacle à multiples facettes. Bravo et merci les amis !
Vu à la télé !
Sur une initiative de Pieter qui passe un mot à la bonne personne, ABC News, une chaîne de TV australienne, décide de faire un bout de tournage à propos de notre voyage. Selina Ross et un technicien se déplacent à Murdunna avec caméra, drone et micro pour une interview et l’enregistrement de quelques plans-séquence. Le résultat monté et diffusé est d’excellente qualité. Merci Selina !
Des temps difficiles
9 août – Mon pouce gauche est malencontreusement écrabouillé par une fendeuse agricole pendant une coupe de bois de chauffage. Le Royal Hobart Hospital s’occupe de mon cas. Mes qualités de vélocité et de rapidité qui font merveille en bateau ont joué contre moi avec la machine. Je me promets de me tenir désormais loin des outils dangereusement surpuissants. A défaut d’être assurés, le coût des soins sera de notre poche. Bizarrement, la France n’est pas éligible à Medicare (une couverture santé de base dont les australiens bénéficient gratuitement) alors que 11 pays européens le sont dont l’Italie et la Belgique.
11 août – Dans l’épisode précédent, nous avions reçu le 10 juin nos visas temporaires (Bridging Visa). Deux mois plus tard, nous recevons un email de l’immigration qui nous demande de fournir sous 28 jours des documents supplémentaires. Comme notre séjour en Australie se prolonge au-delà d’une année, un extrait de casier judiciaire de nos pays respectifs est maintenant requis ainsi qu’un certificat du même acabit de l’AFP, la police fédérale australienne. Tous les documents officiels produits doivent être traduits en anglais.
12 août – Mauvaise nouvelle, la facture de l’hôpital publique que l’on reçoit est deux fois plus élevée qu’escompté. Le service financier, habitué à s’arranger à postériori avec les assurances maladies des patients, a sous-évalué le coût de mes soins. Dommage, si nous avions été correctement informés nous aurions fait différemment car contre toute logique, le secteur privé est plus abordable en Australie.
14 août – ABC News tourne à Murdunna, sur les images j’ai le bras en écharpe du fait du pouce, un souvenir pour la postérité. Merci Pieter pour cette initiative qui nous a mis du baume au cœur dans ces moments difficiles !
15 août – Pour payer la facture de l’hôpital, nous appelons à l’aide nos bienfaiteurs et protecteurs.
18 août – Compte tenu de la volatilité des coûts, nous décidons d’annuler notre rendez-vous post-opératoire et c’est Two Dogs, rencontré il y a 4 mois à Cygnet (cf épisode IV) qui m’enlève mes points de suture au pouce. Sept heures de travail minutieux afin de ne pas déranger la régénération des chairs en cours, merci Doc ! A l’heure où je vous écris (début juin 2021), mon pouce a retrouvé toutes ses fonctionnalités excepté la rémanence d’une sensibilité au froid et d’une perte du toucher à son extrémité.
23 août – Le résultat du tournage d’ABC News passe au journal de 20 heures, nous avons nos 5 minutes de gloire ! Pendant les mois qui suivront nous jouirons d’une certaine célébrité, la Tasmanie est un petit monde. Pour en savoir plus : ABC News Hobart
24 août – L’appel aux dons est un succès, en à peine 10 jours, grâce à 29 donateurs de 5 pays, le montant de la facture de l’hôpital est atteint. Un élan d’humanité qui donne du sens à mon accident et nous libère l’esprit d’une grande partie du problème. Un merci spécial et appuyé à Michelle et Dave pour leur donation record.
7 septembre – Carina obtient la première son visa définitif. Nous sommes frustrés de constater qu’il expire dans à peine 3 mois, le 7 décembre 2020. Avec les mois de « flottement » dus à la lenteur administrative du processus, nous aurons obtenu au total une prolongation de 6 mois, la moitié de ce que nous espérions. Le spectre du prochain renouvellement à 650 € par personne se rapproche, un coût exorbitant spécialement sur un rythme trimestriel. Nous savons qu’un plaisancier a déjà dépensé 3600 € en frais de visa !
13 septembre – Carina ne se laisse pas décourager, elle explore la jungle-internet des visas australiens et découvre un Covid visa, sa soumission est gratuite et il permet de travailler dans des secteurs critiques comme l’agriculture. Du fait du virus le pays va manquer de main d’œuvre pour la cueillette des fruits car habituellement 75% des travailleurs viennent de l’étranger. Cette initiative du gouvernement australien devrait nous permettre, en échange de notre labeur paysan, d’obtenir un visa de longue durée (12 mois).
12 octobre – En ce qui me concerne, la poste australienne a égaré mon premier courrier de l’AFP et la version multilingue de mon extrait de casier judiciaire français ne convient pas. J’obtiens plusieurs reports de l’échéance de fourniture de ces documents. Grâce à Mary-Rose, une collègue de travail de Carina à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, on obtient la précieuse traduction sans frais. Merci Mary-Rose pour ce sérieux coup de main à un moment où la « désespération », comme le dit joliment Carina, nous accablait ! Je suis maintenant en décalage administratif avec Carina. Quand je reçois par email mon visa définitif, il confirme la sentence, 3 mois jusqu’au 12 janvier 2021 !
Conclusion provisoire
Dans l’attente de la réouverture des frontières internationales, un événement qui pourrait bien se faire désirer, nos options sont limitées : retourner en Nouvelle-Calédonie serait compliqué car Carina n’est pas française et la saison cyclonique bat son plein ; retourner en Nouvelle-Zélande nécessite une dérogation spécifique à laquelle on ne peut prétendre et au printemps la difficile mer de Tasman n’offre pas les meilleures conditions de navigation.
Rester en Australie et faire les démarches pour obtenir ce Covid visa semble notre unique option, on mettrait ainsi à profit cet interlude sédentaire pour renflouer la caisse de bord qui touche le fond. Le plus délicat sera d’avoir des attestations d’embauche à verser à notre demande en ligne, l’objectif des prochains mois sera donc de trouver des employeurs qui emphatisent avec notre situation. Un sujet dont nous reparlerons quand nous atteindrons ce point du récit où nous jetons l’ancre dans la rivière Tamar sur la côte Nord de la Tasmanie.
Post-Covid, les barbecues mensuels de Murdunna reprennent du service. On est invité à prendre part à cet élément du folklore australien. De gauche à droite, on reconnait sur la photo Rob à l’arrière-plan, Tim, Carol, moi, Dragan et Jerzy.
10 septembre – C’est mon anniversaire, j’ai 47 ans ! Sur la première photo, dans un tour de table horaire, on peut voir : moi, Bob, Margie, Carol, Tim, Chris, Bill, Rob, Gina et Kaye. Merci les amis pour cette charmante attention !
Un peintre de talent
28 septembre – Nous sommes invités à fêter les 71 ans de Jerzy Michalski, un peintre d’origine polonaise à la renommée internationale. Avant de s’installer en Tasmanie, il travaillait comme artiste-peintre et restaurateur d’art en Pologne et en Allemagne. Dans les années 90, suite à des expositions en Australie, il obtient la nationalité australienne pour « talent exceptionnel ».
Plus récemment, son travail est fortement influencé par le mode de vie et les coutumes du Japon traditionnel, le prochain pays où il se verrait volontiers émigrer.
Un grand projet
6 octobre – Nos pas nous mènent chez Stewart car nous sommes curieux de voir son chantier, bien nous en prend, on a droit à une visite complète du bateau qu’il construit avec assiduité et passion depuis 13 ans. Stewart a longtemps travaillé et milité pour Greenpeace, on le voit notamment sur des coupures de journaux poser une bouée au message anti-nucléaire en plein océan avec dans le fond un cargo au chargement radioactif en transit ! Ses actes de bravoure et son engagement lui vaudront de recevoir deux winches du navire Rainbow Warrior, des pièces d’accastillage aux dimensions impressionnantes.
Son rêve a toujours été d’aller en bateau découvrir le continent Antarctique mais des soucis de santé l’ont contraint à refuser plusieurs opportunités. A défaut, il décide de construire un voilier pour y faire du charter. Plutôt que d’acheter les matériaux au prix fort, la démarche de Stewart consiste plutôt à les laisser trouver leur propre chemin jusqu’à lui. Son terrain est rempli d’objets de toutes sortes qui ont tous une histoire à raconter. Ce sont des pièces détachées du bateau, produits finis ou matière première destinée à être transformée, qui un jour prendront leur place et leur fonction à bord.
Les années ont passé et son rêve d’Antarctique se trouve maintenant en conflit avec ses 62 ans. Stewart se donne encore un horizon d’une année ou deux pour mettre à l’eau son bateau, la bouée pour le recevoir est déjà prête.
Création artistique
Carina organise un atelier origami pour les femmes de Murdunna. Le cygne en papier peut être fait – avec un peu d’entrainement – en moins d’une minute. Un bon moyen de remercier le conducteur qui nous prend en stop !
10 octobre – Peu avant notre départ de Murdunna, Michelle et Dave nous rendent visite. Ils viennent d’acheter un voilier Dufour, Seachelle 2, un bateau marin et solide qu’ils vont prochainement étrenner en Tasmanie. Dave avait une entreprise qui concevait des circuits imprimés sur commande, inopinément, le code écrit pour les concevoir deviendra un logiciel best-seller incontournable dans le monde de l’électronique. Entre autres de ses créations, il a conçu, autour d’un parc de batteries au lithium, la propulsion électrique d’un magnifique jet-boat en bois. Astucieusement, une batterie traditionnelle au plomb-acide sert de tampon pour protéger le parc au lithium, une technologie au management délicat. Passionné d’électronique, d’informatique et de mathématique, il reconstitue actuellement une calculatrice à transistors !
Merci les amis pour votre soutien au moment où nous en avions le plus besoin. On vous souhaite beaucoup de plaisir en navigation sur Seachelle 2 !
Mesdames et messieurs, chers lecteurs,
Dans le prochain épisode, L’Envol sera le centre de toutes les attentions, nous allons en votre compagnie nous occuper de la maintenance du bateau, des nouvelles selleries à la réparation du Toughbook, en passant par l’élaboration d’une gaine pour le tangon et d’une housse pour l’annexe, vous découvrirez le versant technique de nos escales à Hobart et Murdunna.
A bientôt !
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La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales en Tasmanie sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.
Publié le 2/06/2021 depuis la bibliothèque, village de Beaconsfield, Tamar Valley, île de Tasmanie, Tasmania, Australie, GPS 41 12.1 S 146 49.26 E
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