Puerto Deseado
Après une nav gérée au mieux qui nous a d’abord amenée à faire volontairement de l’Ouest jusqu’à s’écarter de 15 milles de notre route Sud idéal, nous en récupérons 10 dans la nuit qui suit en abattant avec la montée du vent d’un flux d’Ouest fort (40 noeuds). Le coup de vent nous permet de traverser le Golfe San Jorge rapidement, nous récupérons le continent au plus près du Cabo Blanco où le flux de marée nous propulse à plus de 10 noeuds sous genaker avant de nous freiner tout près du but : c’est de nuit alors que le jusant est le plus fort juste avant l’étale que nous embouquons péniblement sous voiles appuyés au moteur les quelques milles du chenal de Puerto Deseado afin de rejoindre le mouillage Sud protégé du prochain front froid qui déboule ce soir pour 48 heures.
C’est en avançant vers notre waypoint, avec bien peu de fond, qu’un banc de kelpt (algues) nous barrent le passage, demi-tour, mais le courant vide si fort et si vite que le chemin de retour est à sec pour notre tirant d’eau et le bateau de tosser horriblement sur le fond pas si vaseux. Le moteur n’y pourra rien, c’est l’échouement et l’angoisse que le front froid soit là avant la prochaine marée car le vent et surtout les vagues qu’il ne manquerait pas de lever pourraient le perdre. Des moments de stress intense commencent, alors la frontale visser au crâne, je me débat dans l’annexe avec le kelpt pour nous libérer de son emprise. Le silence est total, point de bruit de civilisation, seul la nature s’égaille, les oiseaux peuplent l’espace à grands cris…
Enfin le jour finit par se lever, l’endroit que nous découvrons est si beau, pastel à l’Est, arc-en-ciel à l’Ouest, et nous, pris dans cet étau sublime, que la situation en vient presque à se justifier, en effet, les levées et couchés de soleil durent très longtemps sous ces latitudes, pour un européen habitué à rentrer dans la journée et à la quitter en quelques minutes, c’est comme si l’aube était figée sur une toile et le bateau immobile tanké au fond vient renforcer cette sensation étrange que le temps s’est arrêté. La situation n’est pas si grave puisque même le vent s’est oublié et que la marée revient au galop. Le bateau se dégage en un rien de temps et file vers son mouillage où nous envoyons 60m de chaine pour les événements à venir.
48 heures plus tard le mouillage a bien tenu, nous profitons de l’étale de basse mer pour nous mettre à couple d’un des deux seul voilier du coin et débarquer à terre tâter le terrain. Rien ne sera simple ici : pas de ponton, pas de bouée, pas de protection au Sud, pas de plaisance ! Nous sommes déplacés dans ce paysage de port de pèche et de cité de fin du monde : Bienvenida a Puerto Deseado !