Bonne année 2025 !
Chers tous,
Bonne année 2025 de la part du voilier L’Envol et de son équipage, bonjour des Pyrénées !
Nous sommes actuellement à l’ancre à Hendaye, au Pays Basque (du côté français de la frontière), où les eaux de la baie de Chingoudy sont devenues notre camp de base pour notre premier hiver européen. Toute à notre tâche de marins, nous n’étions jamais rentrés en Europe depuis le départ en 2013, l’automne 2024 est enfin l’occasion de revoir nos familles respectives.
2024 est aussi l’année de notre 3ème transatlantique des Antilles à l’Europe via les Açores. Le premier grand saut étant celui du Cap-Vert au Brésil en 2014. Le second passage, de l’Afrique du Sud au Brésil via Sainte-Hélène en 2023 résulte d’un parti pris. Une option qui rallonge la route mais évite les semaines de louvoyage précaires que demande la remontée directe et sans escale de l’Océan Atlantique, dans l’hémisphère Sud puis Nord, de l’île de Sainte-Hélène à l’Europe. C’est peut-être grâce à cette stratégie conservatrice que nous ramenons le bateau avec son mât d’origine après un périple de près de 60’000 milles nautiques dont pas mal dans le grand Sud, mais conséquence regrettable, le temps nous a manqué et Maman, décédée neuf mois avant mon retour, s’en est allée pour son grand voyage.
Rétrospective
Le jour de l’an 2024 avait pour théâtre les îles du Salut en Guyane française. Nous commençons l’année par quatre jours de navigation facile et rapide qui nous amènent à Trinidad dans le Sud des Caraïbes. Nous y sortons le bateau de l’eau pour un 5ème antifouling. La saison des cyclones est terminée, nous pouvons compter sur des alizés d’Est réguliers et maniables, enfin de la « navigation de plaisance » comme ils disent, un oxymore, si l’on considère les rares fois où nous l’avons expérimenté durant ce tour du monde.
Quatre mois, c’est ce que nous disposons pour remonter l’arc antillais. Cela débute mal car à Tobago (Charlotteville) puis à Carriacou des officiels aigris semblent prendre leur revanche sur un passé colonial pas si lointain, des formalités administratives pléthoriques, baroques et contraignantes jusqu’à l’absurde, sont prétextes à des humiliations stériles et déplacées. Alors nous pressons le pas, ignorant Saint-Vincent et Sainte-Lucie, pour atteindre au plus vite la Martinique dont la côte au vent, sauvage et désertée par la plaisance, nous ravit.
Fidèles à notre démarche, un mélange de stop, de marche et de nuits fortuites chez l’habitant, nous explorons l’île et ses sommets, notamment : le magnifique belvédère de la Montagne Pelée (1397m) suivi du chemin de jonction sur son escarpé flanc Nord-Ouest, encore dénué de route ; les Pitons du Carbet (1197m), un aérien parcours d’arêtes improbable et acrobatique voué à disparaître pour cause d’itinéraire fermé au public ; et probablement notre préférée, les cascades de la confidentielle et reculée rivière Trois Bras.
Trois mois se sont déjà écoulés, alors nous poursuivons, délaissant la Dominique, pour atteindre la Guadeloupe. Le versant Ouest de Basse Terre regorge de cascades à portée de mouillages, de descentes de rivières et de baignades, nous nous délectons de toute cette eau douce et tiède qui coule à profusion le long des pentes arborées de ces vieux volcans érodés. Mais les meilleurs choses ont une fin, et début mai L’Envol laisse les Antilles dans son sillage.
Nous comptons traverser la Mer des Sargasses sans météo à bord, affranchis de connexion satellitaire, avec pour seul allié un fichier météo Grib de dix jours pris au départ. Il nous en faudra le double pour couvrir les 2’300 milles nautiques jusqu’au Açores. Connaissant le pattern météo de la région caractérisé par les déplacements sporadiques de l’anticyclone des Bermudes, nous suivions la rotation des vents pour décider de la route et de l’amure, un œil sur le baromètre et les nuages.
Mais au final, le problème majeur auquel nous avons dû faire face ne fut en rien lié à la météo mais aux sargasses elles-mêmes, ces algues jaunes qui en s’agrippant sur les bords d’attaque de nos quilles et de nos safrans nous ralentissaient en l’espace de quelques minutes jusqu’à l’arrêt. Je n’ai pas compté le nombre de fois où il a fallu que je m’allonge dans le cockpit pour dégager les safrans, la tête au-dessus des flots, les bras dans l’eau jusqu’aux épaules. Malgré les tentatives d’évitement de ces îles flottantes, nous devions régulièrement faire un 360 degrés avec le bateau pour délester les quilles, virant de bord, gennaker à contre puis empannant, avant de reprendre notre route.
Notre vitesse moyenne était fortement compromise par la prédominance de vents légers que ces sargasses rendaient difficiles à exploiter, et cela reposait la question de notre autonomie en eau mais aussi celle de notre faculté à prendre du repos et enfin celle de notre autonomie énergétique car elles avaient une affection toute particulière pour l’hélice de notre hydrogénérateur.
Au 20ème jour, l’île de Flores, la plus au Nord de l’archipel portugais des Açores, est en vue. Le baromètre a chuté, le vent a fraîchi, la mer s’est renflée, une dépression approche, mais il fait nuit. Pas question de rentrer dans ce port exigu sans visibilité avec juste un hors-bord pour étaler les rafales, alors nous patientons à la cape jusqu’au lever du jour. Au cours de la nuit, la température tombe à une quinzaine de degrés, bienvenue en Europe !
Nous resterons aux Açores deux mois, explorant six des neuf îles volcaniques. Une douce d’euphorie nous portait, le fait de retrouver nos repères européens, son climat, sa végétation et sa culture mais aussi la surprise de retrouver sur l’île de Faial un couple d’amis, voileux émérites, rencontrés dix ans plus tôt en Patagonie.
Les Açores nous ont comblé : sentiers d’époque pavés, chemins du vertige encalminés dans les falaises accores du trait de côte, panoramiques de cascades et de résurgences dévalant des parois abruptes (Flores) ; nouveau territoire pris sur la mer, géologie juvénile, roches enroulées sur elle-même, lave pétrifiée et poussière de scories, parsemées de taches vertes incongrues (Faial) ; sentiers côtiers écroulés, relégués en désuétude par les hommes, convoitée par une nature exubérante (São Jorge) ; cône tutélaire, paysage lunaire émergeant d’une mer cotonneuse, l’île perchée au-dessus des nuages (Pico) ; cratères inaccessibles, tourbières, fumeroles, confettis d’eaux bucoliques (Terceira) ; volcans déchus bâillonnés par les eaux, l’île aux grands lacs (São Miguel). Quand nous quittons ce paradis pédestre, nous avons marché pas moins de 300 kilomètres dans l’archipel.
Les discussions sur la destination suivante allaient de la Turquie à l’Irlande, mais la décision finale a été prise alors que nous étions déjà depuis cinq jours en mer : nous naviguions vers l’Espagne ! Et c’est ainsi que, fin juillet et 1’000 milles nautiques plus tard, nous apercevions la pointe Nord-Ouest de la péninsule ibérique. Ainsi s’achève notre transat retour, un parcours sans avarie, réalisé à la voile avec au total deux litres d’essence brulés depuis la Guyane (incluant les manœuvres de port). Nous espérions bien parvenir à terminer le parcours jusqu’en France sans avoir à compléter notre bidon rempli en Australie en 2022 !
Les 300 milles à vol d’oiseaux de La Corogne à Hendaye le long de la côte espagnole, supposés faciles, se sont révélés exténuants. Le dévent du golfe de Gascogne, les brises faibles et les courants de marées dans le nez, ont débouché sur un parcours erratique de plus de 400 milles à la vitesse moyenne de 3,2 nœuds – un mois de patience et de persévérance avec une dizaine de litres d’essence concédée au moteur.
Le 28 août nous retrouvions la France et mon père, qui a suivi avec assiduité chaque étape de notre progression sur la carte du voyage, était à Hendaye pour nos retrouvailles. Avec sa compagne Geneviève, ils ont voyagé 10 heures depuis les Hautes-Alpes pour venir à notre rencontre et nous faire le merveilleux cadeau d’un accueil inconditionnel après 11 ans d’absence.
Quels sont nos projets pour la suite, ne nous le demandez pas, c’est la grande inconnue. Nous déciderons au printemps si nous voulons continuer cette vie sur l’eau ou tourner la page. En attendant, vivre à bord sans chauffage et assurer la sécurité du bateau avec une tempête tous les dix jours environ, nous maintient dans nos prérogatives de marins. Le Yacht Club d’Hendaye nous a donné l’opportunité de faire une conférence devant un auditoire de 80 personnes, et nous avons été mentionnés dans le quotidien Sud-Ouest.
C’est donc la fin d’un projet, celui de la navigation d’un voilier de 7,7 mètres autour du monde pendant plus d’une décennie. Les gens nous ont souvent demandé combien cette vie nous a coûté, ce à quoi nous aimions répondre : moins que nous ne le pensions, mais tout ce que nous avions. Notre budget mensuel tournait autour de 500 € dont 30% ont été financés grâce à 11 appels aux dons. Nous avons travaillé en tout et pour tout un an et demi. L’aide était toujours présente quand nous en avions besoin – en navigation nous nous devions d’être autonome, mais à l’escale, nous avons toujours expérimenté, de la part d’inconnus, la magie de la gentillesse humaine. Sur cette note finale, nous voudrions remercier tous ceux et celles d’entre vous qui ont contribué à cette réussite ! Merci également aux lecteurs de notre site internet www.intothewind.fr.
Avec nos meilleurs vœux de santé, de joie et de bons vents pour 2025,
Christophe et Carina
Quelques clichés de 2024
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La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales dans l’océan Atlantique sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.
Article publié le 24/01/2025 depuis L’Envol, baie de Chingoudy, Hendaye, France, GPS 43 22.13 N 1 46.46 W
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